Étrangement, lui qui avait mené une campagne si brillante en 1974 ne trouve pas vraiment le ton cette fois-ci. Son plan pour réduire le chômage des jeunes se heurte au scepticisme. S'il est réalisable, pourquoi ne pas l'avoir mis en œuvre plus tôt ? S'il ne l'est pas, pourquoi le présenter ? Le bon sens populaire n'est pas toujours charitable. Le chef de l'État draine pourtant des foules, nombreuses et parfois chaleureuses. Il fait appel à l'intelligence de ses auditeurs. Mais il prononce des discours de candidat sur un ton de président alors qu'il aurait sans doute fallu prononcer des discours de président sur un ton de candidat.

Après ces passes d'armes, la campagne officielle à la télévision et à la radio d'État semble bien monotone. Les candidats importants ont dit ce qu'ils avaient à dire. On écoute plutôt les petits candidats. À ce jeu-là, le talent cinglant de Marie-France Garaud, la décontraction gouailleuse de Michel Crépeau, la fougue pédagogique d'Huguette Bouchardeau (candidate du PSU) éclipsent le romantisme de l'écologiste Brice Lalonde, l'authenticité de la trotskyste Arlette Laguiller et la passion navrée de Michel Debré. Malgré leurs efforts, ils intéressent moins que la navette spatiale américaine. Quelques ultimes meetings, quelques derniers discours, l'attentat d'Ajaccio perpétré avant l'arrivée de l'avion présidentiel, et qui coûte la vie à un malheureux touriste étranger, et, le 26 avril, c'est le verdict. 18,9 % des Français se sont abstenus contre 15,7 % en 1974. C'est signe de défiance vis-à-vis de la politique. La crise y est pour quelque chose.

Victoire socialiste

Valéry Giscard d'Estaing arrive en tête avec 28,3 % des voix. François Mitterrand le suit avec 25,8 %. Le président a fait moins bien qu'en 1974. Le candidat socialiste, mieux que son parti aux élections législatives de 1978. Les deux cofavoris sont donc qualifiés pour le second tour. Mais l'événement, c'est l'effondrement du PC. Georges Marchais ne recueille que 15,3 % des voix, le plus mauvais score du PC depuis... 1932. Certes, la mécanique de l'élection présidentielle a joué contre lui. Certes, la conviction de voir François Mitterrand devancer Georges Marchais et la crainte d'une éventuelle surprise du côté de Jacques Chirac ont lourdement handicapé le no 1 communiste. Il y a des raisons plus inquiétantes à ce revers : une campagne excessive et irréaliste. Une évolution en profondeur du corps électoral. Le parti communiste n'incarne pas une réponse plausible à la crise ; la société française a changé plus vite que lui.

Jacques Chirac, pour sa part, s'est intercalé sans surprise avec 17,9 % des voix. C'est mieux que le RPR aux élections européennes, moins bien que le néogaullisme aux élections législatives. En fait (compte tenu du légitimisme qui handicapait le maire de Paris), cela aurait constitué une très honorable performance si Jacques Chirac n'avait trop proclamé lui-même sa certitude de figurer au second tour. Quant aux autres candidats, ils sont broyés par le mode de scrutin : 3,8 % pour Brice Lalonde, 2,3 % pour Arlette Laguiller, 2,2 % pour Michel Crépeau, 1,6 % pour Michel Debré, 1,3 % pour Marie-France Garaud, 1,1 % pour Huguette Bouchardeau.

Avant le second tour, tout est encore possible. Valéry Giscard d'Estaing compte deux points et demi d'avance sur son adversaire familier, l'ensemble de la droite rassemble un peu plus des suffrages que la gauche, mais François Mitterrand a obtenu un score supérieur aux pronostics les plus euphoriques. Pendant les deux semaines qui précèdent le 10 mai, le parti communiste décide sans enthousiasme, mais résolument, de voter pour François Mitterrand.

Jacques Chirac, lui, se montre réticent à voler au secours de Valéry Giscard d'Estaing, qu'il combat depuis cinq ans. Il indique, certes, que lui-même, à titre personnel, votera pour le président, mais ne donne pas de consigne à ses partisans, puis intervient de nouveau pour recommander de ne pas voter pour François Mitterrand. En réalité, les jeux sont faits. Le Face à face télévisé du 5 mai, regardé par 30 millions de Français, ne change rien. La Fête de la liberté, organisée par les giscardiens porte de Pantin et qui rassemble 120 000 personnes, ne pèse pas un gramme. Deux ultimes controverses — assez peu élégantes (l'une tardive, à propos du projet socialiste, l'autre provoquée par le général de Boissieu, gendre du général de Gaulle, grand conseiller de la Légion d'honneur et allergique à François Mitterrand) — montrent qu'il est grand temps d'en finir. Le 10 mai, il y a cette fois un tout petit peu moins de 15 % d'abstentions ; les reports de voix communistes se font impeccablement ; les reports de voix chiraquiens se font médiocrement. Le président sortant est battu. Son adversaire malheureux de 1974 tient sa revanche : François Mitterrand l'emporte par 51,75 % des voix (contre 48,24 % pour Valéry Giscard d'Estaing). Le leader de l'opposition de gauche vient d'être élu à l'Élysée. On danse à la Bastille. On y conspue quelques journalistes de l'audiovisuel.