Dès lors, les événements s'accélèrent soudain comme un film qui tourne trop vite. La droite avait résisté ; elle s'effondre et se déchire sur-le-champ. François Mitterrand avait annoncé son intention de dissoudre l'Assemblée nationale en cas de succès. Le soir du 10 mai, Jacques Chirac se pose en rassembleur de la majorité sortante, « sans esprit partisan », et, le 11, il propose à l'UDF une unité de candidature symbolique. Le même jour, Raymond Barre dénonce « l'immense responsabilité » de « ceux qui n'ont pas hésité à jouer au quitte ou double le sort de la Ve République ». Valéry Giscard d'Estaing fustige les « trahisons préméditées ». L'issue des élections législatives qui vont suivre ne fait pas de doute. Le PC se dit prêt à exercer ses responsabilités au sein d'un gouvernement de gauche, mais les socialistes se gardent bien de leur répondre avant le scrutin. UDF et RPR bâclent un pacte électoral tout proche des thèses du maire de Paris. Il y a eu débandade à l'UDF au lendemain du verdict présidentiel. Mais les ambitions de Jacques Chirac, le réalisme du PC, qui se pare soudain d'une incomparable vertu unitaire, n'ont plus d'importance. François Mitterrand installe une antenne présidentielle sous la direction de Pierre Bérégovoy, futur secrétaire général de l'Élysée. Le 19 mai, Valéry Giscard d'Estaing enregistre un message de départ. Il y est question d'au revoir, pas d'adieu.

Le 21, François Mitterrand s'installe à l'Élysée et rend, au Panthéon, au cours d'une cérémonie solennelle jusqu'à la grandiloquence, un hommage à Jean Jaurès, Jean Moulin et Victor Schoelcher. Le soir même, il nomme Pierre Mauroy Premier ministre, comme prévu. Celui-ci constitue aussitôt un gouvernement de gauche non communiste, où l'on relève la présence du pompidolien Michel Jobert, de nombreuses femmes (comme Nicole Questiaux, Catherine Lalumière, Edith Cresson, etc.) ; des modérés occupent les portefeuilles stratégiques (Jacques Delors les Finances, Claude Cheysson les Relations extérieures, Gaston Defferre l'Intérieur, Charles Hernu la Défense). L'Assemblée nationale est dissoute, les électeurs convoqués pour les 14 et 21 juin.

Et c'est un raz de marée socialiste qui sort des urnes. La participation, comme toujours quand les élections se suivent de près, a été modeste : 29,6 % d'abstentions au premier tour; les socialistes, grossis d'un petit bataillon radical de gauche, d'une escouade gaulliste de gauche et d'une poignée de personnalités d'opposition, atteignent 37,5 % des voix, chiffre égalé par les seuls gaullistes en juin 1968 ; le parti communiste, fort marri, fait à peine mieux qu'à l'élection présidentielle avec 16,1 % ; le RPR n'atteint que 20,8 %, l'UDF 19,2 %. Au second tour, le mode de scrutin majoritaire aidant, le groupe des socialistes et apparentés rassemble 285 députés, 39 sièges de plus que la majorité absolue de l'Assemblée ; le PC doit se contenter de 44 élus, le RPR de 88, l'UDF de 63. C'est une hécatombe chez les communistes et les responsables de l'ex-majorité. Les trois directeurs de campagne de Valéry Giscard d'Estaing sont battus. Dans ces conditions, quand Pierre Mauroy, aussitôt chargé de constituer un nouveau gouvernement, fait entrer 4 ministres communistes dans son ministère (Charles Fiterman, ministre d'État, ministre des Transports, Jack Ralite, ministre de la Santé, Anicet Le Pors, ministre de la Fonction publique, Marcel Rigout, ministre de la Formation professionnelle), les États-Unis peuvent faire grise mine et les pays arabes conservateurs s'inquiéter, chacun en France sait bien que le nouveau pouvoir qui s'installe est socialiste et seulement socialiste.

Car ce n'est pas seulement Valéry Giscard d'Estaing qui a été battu le 10 mai, ou l'UDF et le RPR défaits le 21 juin. C'est un nouveau régime qui s'installe au cœur de la Ve République. C'est la Ve République bis qui commence, aussi différente des républiques gaullienne et giscardienne que celles-ci l'étaient de la IVe République. Il n'y a certes pas eu besoin, cette fois, de changement de constitution, mais le tournant est de même ampleur. La crise économique y a été pour beaucoup. Les divisions de la nouvelle opposition aussi. Comment ne pas voir pourtant que les Français viennent d'installer un pouvoir social-démocrate en harmonie avec leur sociologie ? C'est bien pourquoi la victoire de François Mitterrand constitue une défaite autant pour le parti communiste que pour l'UDF et le RPR ; l'année Mitterrand, en somme, paraît aussi surprenante que logique : surprenante, car les Français s'attendaient, jusqu'au bout, à un succès de Valéry Giscard d'Estaing ; logique, parce que l'écorce politique libérale recouvrait une société déjà sociale-démocrate sans le savoir, et qui, depuis le 10 mai et le 21 juin, l'est désormais en le sachant.

Les femmes députés

On compte 26 femmes élues. Leur pourcentage (5,3) par rapport au nombre de députés demeure encore très faible. L'ancienne majorité comptait 4 élues, le PC 3. La volonté du PS d'imposer des femmes dans certaines circonscriptions n'a pas toujours été couronnée de succès. Huguette Bouchardeau (PSU), par exemple, a été éliminée dès le 1er tour.

Personnalités battues

Le raz de marée socialiste a été fatal à un grand nombre de députés de l'ex-majorité et du parti communiste, dont notamment :