Journal de l'année Édition 1981 1981Éd. 1981

La Compagnie financière de Suez, elle-même, est un temps l'objet d'un mystérieux ramassage ns correspondant pas aux yeux de la société à un simple placement. La réaction est rapide et le conseil renforce sa position à 35 % du capital, auxquels s'ajoutent les 15 % détenus par des investisseurs connus. Paribas, de son côté, annonce son entrée dans le groupe Schneider, alors que nul n'envisageait un retrait aussi rapide du baron Empain.

En campagne

Dans le même temps, les premiers résultats commencent à être publiés. Les uns sont bons, excellents même dans le domaine de la construction et des travaux publics, qui est l'un des plus en vue de cette fin d'hiver. C'est le cas de Bouygues, par exemple, qui va bientôt se voir confier, après une longue attente, la réalisation de l'université de Riyad, en Arabie Saoudite. Bons résultats aussi de la CGE, qui doit réviser en hausse ses estimations initiales à la suite de la prise de contrôle d'Alsthom-Atlantique, dont la situation s'est bien rétablie.

D'autres chiffres, en revanche, sont des plus décevants, à commencer par Peugeot, dont le déficit de 2 milliards crée un choc. L'ampleur des pertes du secteur textile pèse de même sur Rhône-Poulenc. La diversité des performances est plus grande que jamais. Elle impose aux gestionnaires une rigoureuse sélectivité qui n'ira qu'en se renforçant avec la hausse des taux d'intérêt. Les charges financières, brutalement majorées au printemps, entraîneront des déséquilibres accrus.

Une affaire comme Rossignol, no 1 mondial du ski avec près du quart du marché, perdra de l'argent au cours de son exercice 1981-82 du fait de l'alourdissement excessif de ses frais financiers, à plus de 10 % du montant de ses ventes. À fin mars, l'indice se retrouve grosso modo à ses niveaux du début de l'année. La baisse de janvier a été rattrapée, mais le ton est réservé. (Il est vrai que l'on entre en campagne électorale.) Réservé mais apparemment serein. Sans être giscardienne — elle est plus sensible aux arguments développés par Jacques Chirac, qui propose notamment de supprimer la taxation des plus-values —, la Bourse croit à la réélection du président sortant. Le marché surestime l'avantage que confère la position acquise. Il voit dans la politique de Raymond Barre le moindre mal. Il ne voit pas son impact négatif sur l'électeur.

À vendre

Il conserve même ses illusions au lendemain du premier tour des présidentielles. L'indice est à 109,8 la veille du second tour, c'est-à-dire toujours au niveau du début de l'année. Et là c'est le réveil, le choc. Et qui dit choc trop brutal dit chute. La Bourse n'échappe pas à la règle. Le 11 mai, les grandes valeurs françaises sont incotables.

Les ordres de vente affluent, portant sur des dizaines de milliers d'actions, nationalisables en tête. En face, il n'y a personne pour acheter. La corbeille est à vendre, elle ne trouve pas preneur. Il faudrait pour cela que les cours baissent beaucoup plus fortement que les 10 % admis ce jour-là par les autorités de tutelle du marché. Cela viendra les jours suivants. En une semaine, l'indice revient à 91, en baisse de 17 %. La Bourse, hier aveugle, ouvre les yeux. Et fait ses comptes. Elle a perdu, en quelques jours, une quarantaine de milliards. C'est l'amputation de la capitalisation des actions françaises, qui, de 238 milliards à fin avril, passe à 197 milliards à fin mai. Et elle intègre les nouvelles données : un gouvernement d'attente, qui se veut rassurant, et bientôt des législatives.

La confiance fait place à la désillusion, du moins au réalisme, et le marché demeure sur la réserve. Les professionnels ont mis à profit le temps mort précédant l'arrivée effective de François Mitterrand pour acheter des valeurs étrangères avant l'instauration de la devise-titre, voire une éventuelle dévaluation, qui paraît pourtant peu probable à très court terme pour des raisons psychologiques. La devise-titre est effectivement restaurée. Cela permet de freiner les évasions de capitaux sous forme de valeurs étrangères à l'heure où flambent les cours du dollar.

Temps mort

Appuyée par des taux d'intérêt qui refusent de baisser, la devise américaine vaut plus de 5,70 F. Le dollar-titre connaît lui-même de fortes fluctuations bien au-delà de 6 F. Et cela bien que les taux d'intérêt soient relevés à 20 % sur le marché monétaire pour soutenir le franc ; 20 %, c'est un taux qui met le crédit à un niveau inconnu jusqu'à présent et qui menace toutes les entreprises dont la structure financière est fragile. C'est un taux qui entraîne aussi les taux à long terme.