Puisqu'il est question de préserver et, si possible, d'accroître la richesse nationale, que le capital et le travail débattent entre eux des propositions faites par les dirigeants politiques.

Certes, tout au long des années antérieures, on a vu les grands groupes de pression réagir aux mesures envisagées par les gouvernements successifs. Aujourd'hui, il s'agit de plus que cela : le gouvernement demande pratiquement la caution politique des interlocuteurs sociaux, sûr de n'obtenir celle du Parlement qu'une fois acquise celle du monde patronal et syndical.

Qu'importent les principes institutionnels, dira-t-on, si le pays se trouve mieux d'une telle démarche ? Sans doute, mais il faut prendre conscience de l'effacement du Parlement devant ces concertations officielles entre forces politiques, économiques et sociales. Le fait n'a jamais été aussi clair qu'en ce mois d'avril 1981 où Mark Eyskens prend les rênes du pouvoir.

Autre problème qui divise la majorité : les conditions d'un « emprunt de crise ». Les modalités techniques d'un tel emprunt soulèvent une question de moralité politique.

Immoral

Pour les conservateurs de l'opposition et de la majorité, il convient d'être réaliste et d'exonérer de précompte cet emprunt, de façon à encourager le retour de capitaux envolés au-delà des frontières. Pour les socialistes et les communistes (ces derniers sont dans l'opposition), ne pas prélever de précompte sur cet emprunt serait immoral et reviendrait à légitimer la fraude fiscale antérieure.

Pour le secrétaire général de la FGTB, Georges Debunne, « accorder, d'une part, à quelques milliers de placeurs passifs des superrevenus exonérés d'impôts et, d'autre part, taxer davantage la grande masse de ceux qui travaillent est socialement injuste. Ce qu'on appelle l'emprunt de crise est donc inacceptable ».

Que propose le syndicat socialiste pour trouver rapidement de l'argent ? Un impôt de 1 % sur le patrimoine mobilier. Considérant le fait que 44 000 familles environ possèdent une fortune globale de 3 000 milliards, un tel impôt rapporterait à l'État 30 milliards. Une telle disparité de vues indique dans quel état d'esprit s'engage le dialogue autour de la table ronde !

Chaque décision importante risque de coûter la vie au gouvernement. Ainsi, pour la sidérurgie et le textile, les deux grands secteurs industriels en difficulté, que les pouvoirs publics soutiennent à coups de milliards.

Avant même qu'il n'ait le temps de consacrer une réunion ministérielle spéciale au problème urgent de l'aide à la sidérurgie, le nouveau gouvernement Eyskens encaisse des coups de semonce, du côté wallon et du côté flamand.

Fusion

Le dossier sidérurgique divise les deux grandes communautés du pays, depuis l'installation en Flandre d'un grand complexe sidérurgique moderne (Sidmar), alors que la sidérurgie wallonne garde des structures vieillies.

Une proposition patronale wallonne vise à fusionner Cockerill de Liège avec le Triangle de Charleroi. Ce projet, soutenu par les syndicats wallons, est approuvé le 8 mai 1981 par le gouvernement, malgré les réticences des syndicats flamands.

Certes, l'aide publique à la sidérurgie wallonne se compte par dizaines de milliards, alors que le secteur privé se fait tirer l'oreille pour acquitter sa part convenue dans l'investissement. Cependant, les Wallons font valoir les dépenses publiques consenties, selon eux, au bénéfice de la seule Flandre : l'aménagement du port de Zeebrugge en terminal gazier, par exemple.

Cette sempiternelle et inévitable communautarisation des problèmes économiques nourrit la propagande des partis fédéralistes : la Volksunie et le Vlaams Blok en Flandre, le FDP à Bruxelles et le Rassemblement wallon en Wallonie. Ces deux derniers partis francophones ont défini un programme d'action commune, non sans quelque difficulté d'ailleurs, puisqu'ils comptent dans leurs rangs à la fois des libéraux traditionnels et des tenants de l'autogestion socialiste.

Milices

S'il faut en croire un sondage publié par le Soir, un francophone sur deux souhaiterait le retour au système unitaire et 70 % de francophones préfèrent l'entraide financière intercommunautaire à l'autonomie ! Ces résultats compliquent la tâche des fédéralistes.