Journal de l'année Édition 1981 1981Éd. 1981

Face à l'envolée des prix, les Français ont néanmoins continué de consommer jusqu'à l'été 1980, provoquant le maintien d'une certaine activité dans le commerce et l'industrie, et accentuant la hausse des prix, dans l'immobilier notamment, au détriment des dépôts d'épargne, par ailleurs pénalisés par les taux d'intérêt offerts sur le marché financier.

Mais la consommation des ménages s'est rapidement inversée, ramenant la progression annuelle en volume de 3 % en 1979 à 1,5 % en 1980, sans que le redressement du mois de janvier 1981 traduise une modification de la conjoncture.

Ce ralentissement de la consommation intérieure s'ajoutant à la réduction des exportations, dont le taux de croissance (+ 2,2 % contre 7,4 % en 1979) a été sérieusement malmené par le ralentissement économique mondial et la surévaluation momentanée du franc français sur les marchés des changes, a provoqué ce qu'on peut appeler un relatif échec du plan Barre.

Consommation et épargne

Les conséquences du prélèvement pétrolier ne se sont fait sentir sur les ménages qu'au premier semestre 1980, puis à la fin de l'année, entraînant un certain ralentissement de la consommation et surtout de l'épargne. Le taux d'épargne qui s'était élevé de 16,6 % en 1977 à 17,5 % en 1978 (maximum historique si l'on excepte l'année 1975 au caractère exceptionnel) est revenu à 15,9 % en 1979 et 14,1 % en 1980. À l'évidence les ménages ont continué de prélever sur leur encaisse pour maintenir un certain niveau de consommation. Après une brève amélioration au premier trimestre 1981, la situation s'est de nouveau détériorée à partir du mois de mai.

Ralentissement

Malgré l'augmentation des résultats financiers en 1979 et la modération de la politique des prélèvements sociaux en 1980, l'investissement productif des entreprises déterminant pour la politique de l'offre, entreprise par le Premier ministre, n'a pas suivi. L'investissement productif, qui avait nettement repris à la mi-1979 et atteint un palier élevé au début de 1980, s'est complètement retourné ensuite sans qu'aucun signe de réelle amélioration apparaisse, malgré les mesures de politique conjoncturelle prises à l'automne 1980 dans la perspective du premier trimestre 1981.

Au total, l'investissement productif est ainsi resté à un haut niveau (+ 5 % de croissance en 1980), mais insuffisant pour compenser le ralentissement de la consommation et celui des exportations à la charnière 1980-1981. Il s'en est suivi un affaiblissement de la production industrielle (– 8 % de mars 1980 à mars 1981), la croissance économique s'établissant à 1,5 % en volume et devant vraisemblablement tomber au-dessous de 1 % en 1981, malgré les prévisions plus optimistes faites par le gouvernement Barre au début de l'année. La forte baisse de la construction aidant, du fait de la réduction des moyens de financement et de l'augmentation des prix et du coût du crédit, le nombre des demandeurs d'emploi a ainsi dépassé 1 800 000 personnes à la fin du mois de mai 1981 et rien n'indique que le chiffre des 2 millions pronostiqué il y a deux ans par les experts de l'INSEE ne soit pas atteint. Or, selon les calculs réalisés par Entreprise et Progrès, le chômage coûte déjà 86 milliards de F, dont 44 milliards sous forme d'indemnisation, 12 sous forme d'incitation à l'emploi et 30 de manque à gagner pour la Sécurité sociale dont le déficit réapparaîtra en 1981. Le redressement de la conjoncture dépend en réalité de deux facteurs, dont l'un, international, nous échappe totalement et l'autre, national, n'est pas encore clairement défini.
– International. Le précédent gouvernement, comme la plupart de ses collègues européens, comptait beaucoup, pour la fin de l'année 1981, sur la reprise économique internationale et sur les efforts entrepris en France comme à l'étranger, en particulier en Allemagne fédérale, pour relancer l'investissement productif.
Or, l'environnement international s'est profondément dégradé depuis le début de l'année. La relance de l'économie américaine tarde d'autant plus à venir que la récession a été moins forte que ne le prévoyait la nouvelle administration en place à Washington. La réussite du plan Reagan, dans la mesure où elle repose sur une réduction de la fiscalité, implique de partir d'un point bas si l'on veut éviter un trop fort déficit budgétaire et, partant, des besoins de financement entraînant une hausse vertigineuse des taux d'intérêt.
C'est pour cette raison que la Maison-Blanche pratique, depuis le début de l'année 1981, une forte hausse des taux d'intérêt qui fait monter le dollar, perturbant les échanges commerciaux et obligeant leurs partenaires européens à augmenter leurs taux d'intérêt freinant ainsi leur propre redémarrage. Ce n'est pas pour rien qu'en juin 1981 les experts de l'OCDE réunis à Paris ont tiré la sonnette d'alarme, indiquant que la croissance économique tomberait cette année à moins de 1 % en moyenne dans les 24 pays considérés et que le nombre des chômeurs atteindrait au moins 30 millions.
– Relance intérieure. Ces prévisions pessimistes ont amené le nouveau gouvernement issu de l'élection du 10 mai à soutenir l'emploi par des mesures de relance intérieure et par un plan d'embauché dans la fonction publique.
Le premier gouvernement Mauroy a décidé, le 3 juin, le relèvement de certaines prestations et allocations en même temps qu'il relevait le niveau du SMIC, relançait la construction sociale et augmentait les prêts du FDES. Au total, près de 7 milliards de F ont été ainsi injectés dans l'économie sous des formes diverses, auxquelles s'ajoutent les sommes du Fonds d'action conjoncturelle et les crédits bonifiés libérés au profit de l'investissement à la fin juin. Au total, on peut évaluer la relance à 30 milliards de F pour 6 mois. Le financement non inflationniste de ces mesures et l'apurement du déficit budgétaire antérieur devaient être assurés, à la fois, par des mesures fiscales exceptionnelles et un grand emprunt national.
Le gouvernement souhaite ainsi obtenir une certaine relance de l'économie, permettant de contenir la progression du chômage sans aggraver les grands équilibres. On ne peut ignorer, en effet, les contraintes pesant sur une économie ouverte comme la France, où un Français sur quatre travaille pour l'étranger et un Français sur trois consomme étranger.
Or, relancer l'activité économique par la consommation, compte tenu du haut niveau de spécialisation industrielle international auquel le monde est parvenu, risque d'accroître le déficit de notre commerce extérieur déjà alourdi par la hausse du dollar. Ne pouvant et ne voulant pas revenir à des formules protectionnistes qui condamneraient nos débouchés extérieurs, la marge de manœuvre du gouvernement est forcément étroite. Elle passe par un renforcement de la coopération européenne, afin d'obtenir une détente mondiale des taux d'intérêt, par un accroissement de l'endettement extérieur, par une politique de stimulation de l'épargne dont le taux a fortement fléchi en 1980 et 1981 et par un soutien plus important encore du volume des investissements.
Un pari difficile à tenir si les autres nations industrielles ne prennent pas à leur tour des mesures de soutien de l'activité, que les politiques monétaires menées jusqu'à l'été 1981 ont rendu particulièrement vulnérable.