Jamais encore un texte officiel du CRIF, que préside Alain de Rothschild, n'était allé si loin. Peu de mois après, le président Valéry Giscard d'Estaing créera, justement, les conditions requises et provoquera non seulement une situation de divorce entre les Juifs et le gouvernement, mais, dans une moindre mesure, il est vrai, entre les Juifs et les institutions qui à ce jour les représentaient au plan politique.

Tollé général

Le 3 mars 1980, début du périple qui conduit le président de la République dans les Émirats arabes, Valéry Giscard d'Estaing prononce, au Koweït, une allocution dans laquelle il est question du « retrait d'Israël des territoires occupés en 1967 », de la « reconnaissance des droits légitimes du peuple palestinien » et de son droit à l'autodétermination. Jusqu'à son arrivée à Amman en fin de semaine, le président de la République continue à évoquer l'« autodétermination du peuple palestinien » et ce n'est qu'en Jordanie pour la première fois qu'il mentionne explicitement les droits d'Israël. Mais, en Jordanie, le président de la République contemplera aussi à la jumelle cette terre d'Israël qu'à ce jour, et malgré de nombreux voyages en terre arabe, il n'a jamais voulu fouler.

L'attitude du président de la République soulève un véritable tollé auprès de la quasi-totalité des Juifs de France. Le CRIF à son tour fait part de son indignation et, par la suite, son président ira jusqu'à préconiser de geler les relations du CRIF avec les pouvoirs publics. Le fait qu'à la sortie de Matignon, où les dirigeants du CRIF avaient été reçus par Raymond Barre pendant le voyage arabe du président de la République, ces dirigeants se soient abstenus de toute déclaration publique est interprété comme le signe d'une réserve et d'une timidité qui va au-delà du supportable, et d'aucuns s'interrogent sur la possibilité fondamentale du CRIF d'exercer sur le gouvernement une influence qui soit dissuasive. La seule dissuasion qui, d'une manière ou d'une autre, pourrait être efficace restant une opposition électorale sous la forme notamment d'un vote-sanction. Or, justement, la France vit déjà à un certain rythme pré-électoral, et la question est posée par les médias de l'importance pratique du vote des Juifs de France, de leurs alliés et amis.

Solidarité

Les événements prennent un cours d'autant plus spectaculaire qu'après une année d'interruption les Juifs de France sont invités à manifester publiquement leur solidarité avec Israël dans le cadre des 12 Heures pour Israël, le 27 avril 1980. Lancées en 1976 par un groupe de jeunes cadres du Comité juif d'action et relayées par l'Appel juif unifié, les 12 Heures pour Israël avaient alors connu un succès retentissant.

Kermesse et fête, déclarations politiques, engagements et tables rondes constituent ce qu'on peut appeler la fête du judaïsme français. L'Appel juif unifié, présidé par Guy de Rothschild, jouait sans aucun doute la carte d'une certaine modération. Au surplus, l'organisation avait décidé, depuis 1978, de surseoir à semblable manifestation. Mais le Comité juif d'action, toujours dirigé par son fondateur Henri Hajdenberg, jeune avocat de 33 ans, prend, lui, une vigueur nouvelle.

Sous le nom de Renouveau juif, il trouve les structures d'accueil adéquates dans le cadre de l'Organisation sioniste de France. C'est lui, cette fois, qui est le seul organisateur des 12 Heures pour Israël. L'Appel juif unifié, dans un premier temps, envisage de bouder le rassemblement du 27 avril ; il est cependant rapidement débordé par la base, et une foule immense (évaluée à 150 000 personnes par le Renouveau juif) se presse au parc des Expositions de la porte de Pantin. La manifestation prend dès le départ un tour très politique et la venue d'Eliahou Ben Elissar, premier ambassadeur d'Israël en Égypte, illustre cette « autre politique pour la France » que suggère avec force le Renouveau juif en lançant une campagne pour que le chef du gouvernement israélien et le président de la République arabe d'Égypte soient l'un et l'autre invités à Paris.

Constat d'échec

Mais, au-delà de l'opposition des Juifs de France (sans doute dans leur grande majorité) à la politique française au Proche-Orient, les 12 Heures pour Israël de 1980 éveillent aussi, et pour la première fois de façon aussi prononcée, les doutes de nombreux Juifs français dans la sagesse, le courage et l'engagement des notables qui dirigent la communauté juive de France. Dans son discours final, Henri Hajdenberg dresse un « constat d'échec » de l'action entreprise par les dirigeants communautaires et dénonce « la faillite politique dans laquelle ils ont plongé » toute la communauté. Et il mentionne explicitement « les Rothschild ».