Quand Raymond Barre visite officiellement la Réunion, son île d'origine dont Michel Debré est l'élu, le Premier ministre lance un « je ne suis pas venu faire de la pêche aux voix comme d'autres font de la pêche aux moules » qui fait grincer les dents fort acérées de la Lettre de la Nation. Et puis, surtout, le 12 novembre 1978, le RPR se réunit en congrès extraordinaire. Toujours fracassant et talentueux, l'ancien secrétaire général de l'UDR, Alexandre Sanguinetti, annonce qu'il se considère dans l'opposition du pouvoir ; toujours retenu et sans complaisance, l'ancien Premier ministre Maurice Couve de Murville déplore l'inopportunité des élections européennes.

Toujours nuancé et réfléchi, l'ancien ministre d'État Olivier Guichard est sifflé parce qu'il ne critique pas assez le gouvernement ; toujours pressant et applaudi, Jacques Chirac demande qu'au prochain sommet européen la France exige de ses partenaires des garanties de non-extension des pouvoirs de l'Assemblée européenne. Le chômage, l'Europe, ce sont les leitmotive qui scandent décidément les relations rugueuses entre le gouvernement Barre et le principal groupe de l'Assemblée. Personne n'est d'ailleurs étonné, quand, le 29 novembre, Jean François-Poncet (secrétaire général de l'Élysée), diplomate de carrière de convictions très européennes, remplace Louis de Guiringaud au quai d'Orsay.

Giscard prône l'Europe

Le président de la République ne se mêle apparemment pas aux problèmes entre le gouvernement et le RPR. Il se rend au Brésil (l'enjeu est économique) et à Rome (l'objectif est politique). Il tient en novembre, dans le cadre inhabituel de la Maison de la Radio, une conférence de presse.

Attentivement serein, il rend un hommage très appuyé à Raymond Barre. Il suggère pour les élections européennes une « large liste » majoritaire, sans exclusive. Il défend surtout une conception très gaullienne de l'Europe confédérale. Il n'imagine pas avant très longtemps une modification de l'organisation des pouvoirs de Bruxelles et de Strasbourg. Il ajoute, cependant, en guise de garantie supplémentaire, qu'il serait favorable à un référendum au cas, tout théorique à son avis, où se poserait la question de l'extension des pouvoirs parlementaires européens. Au sommet européen des 4 et 5 décembre 1978, à Bruxelles, il ne demande évidemment pas d'assurances supplémentaires à ses partenaires.

Entre-temps, Jacques Chirac a été victime d'un accident de la route en Corrèze. Il s'est fait transporter à Paris, où on l'hospitalise à Cochin.

Dans l'opposition, on polémique toujours. Georges Marchais organise à Vitry une rencontre avec les intellectuels du PC, pour s'efforcer à nouveau de contenir ses contestataires, dont plusieurs abandonnent par exemple la rédaction de l'hebdomadaire officiel France nouvelle et dont d'autres participent à des réunions d'hétérodoxes pour préparer à leur façon le XXIIIe Congrès.

Au PS, la lutte bat son plein. Les amis de François Mitterrand dénoncent les sondages et les campagnes de presse en faveur des opposants et surtout de Michel Rocard. Pierre Mauroy est moins directement attaqué ; le premier secrétaire n'a pas encore renoncé à le ramener au bercail. Dès le mois de décembre, il devient cependant très clair qu'il y aura plusieurs contributions : celle de François Mitterrand et de ses amis ; celle de Michel Rocard, en commun avec Pierre Mauroy ou en termes fort proches des siens ; celle du CERES qui, d'ailleurs, se divise lui-même, certains comme Marc Wolff (Nord) et Christian Pierret (député des Vosges) prisant peu le dogmatisme de leur courant ; celle des femmes, peut-être, dont certaines veulent marquer leur sensibilité propre.

On ne manque pourtant pas de thèmes de combat, avec le chômage qui, en novembre 1978, a dépassé les 1 300 000 demandeurs d'emplois, avec l'annonce par les groupes Usinor et Sacilor de 20 000 suppressions de postes avant 1980, avec la Lorraine et le Nord qui grondent, avec l'affaire Darquier de Pellepoix dont le racisme des déclarations à l'Express remue beaucoup. Mais il n'y a plus d'unité et guère de foi dans les rangs de l'opposition. Le congrès de la CGT fin novembre s'est bien voulu un peu plus ouvert et un peu moins académique que d'habitude. Cela ne change rien. L'opposition gagne bien aussi, début décembre, une élection municipale partielle à Nice. Mais à quoi bon ?

Une attaque en règle

Seulement, il y a, à nouveau, pour terminer l'année, le RPR. Et, cette fois, cela paraît grave. Quand, le 2 décembre, à la Convention nationale des jeunes RPR, on crie « Giscard démission, Chirac président », personne ne croit que cela soit spontané. Et puis surtout, le 6 décembre, c'est le fameux appel de Cochin, rédigé à titre théoriquement personnel par Jacques Chirac (assisté de ses deux conseillers privés, Pierre Juillet et Marie-France Garaud) depuis sa chambre d'hôpital. Il déclenche la mobilisation générale de la France politique. Il touche même cette fois (les sondages en font foi) les électeurs eux-mêmes. C'est le texte le plus dur, le plus âpre et le plus virulent que le président du RPR ait jamais écrit. On y apprend sans étonnement que le maire de Paris prendra la tête d'une liste pour les élections européennes. On y lit surtout que les intérêts de la France sont menacés par un « parti de l'étranger » à « la voix paisible et rassurante », qu'une politique de supra-nationalité — anathème suprême pour les gaullistes — nous fait courir le risque de l'« asservissement économique » et de l'« effacement international de la France ». C'est une mise en cause en règle de la politique européenne de Valéry Giscard d'Estaing et Raymond Barre, implicitement accusés de faiblesse et de mollesse.