Journal de l'année Édition 1979 1979Éd. 1979

Albert Jacquard
Éloge de la différence
(Le Seuil)
Les progrès considérables de la biologie n'intéressent pas que les seuls spécialistes. Le succès obtenu ces dernières années par des livres d'approche pourtant difficile comme Le hasard et la nécessité, de Jacques Monod, La logique du vivant, de François Jacob, ou De la biologie à la culture, de Jacques Ruffié, en est la preuve. Mais, en franchissant les portes des laboratoires, les découvertes génétiques n'ont pas manqué de venir nourrir des thèses qui se parent de l'habit scientifique pour mieux masquer des thématiques assez douteuses. Telles ces affirmations se servant des fameux tests du QI (quotient intellectuel) pour laisser croire que la réussite scolaire d'un enfant est presque exclusivement conditionnée par l'hérédité.
C'est dans ce contexte où règne une dangereuse confusion qu'il faut replacer l'essai consacré par Albert Jacquard à la génétique et aux hommes et intitulé sans ambiguïté possible Éloge de la différence. S'adressant au grand public, Albert Jacquard y dénonce avec force les interprétations abusives que l'on a pu tirer ici ou là du développement de la biologie : « Non, dit-il, il n'est pas possible, à moins de risquer les pires imprécisions, de généraliser la notion de race ; non, la spécificité même de l'intelligence humaine n'a pas fait jusqu'à présent l'objet d'une explication scientifique ; non, il n'est pas sérieux d'espérer des mutations considérables intervenant à la suite d'une hypothétique amélioration génétique de l'homme. » À ce propos, Albert Jacquard ne se prive d'ailleurs pas de citer quelques-unes des tentatives émaillant l'histoire pour préserver la race ou la transformer, et ayant abouti aux crimes que l'on devine. N'y a-t-il alors aucun enseignement à retenir de la génétique ? Dans un domaine où la prudence doit rester le maître mot, une voie est sûre en tous les cas : la richesse du flux génétique, que nous connaissons de mieux en mieux, provient de son extrême capacité à « différencier ». Là est sa caractéristique et là se trouve la source possible d'une attitude humaniste respectueuse de l'autre en tant que dissemblable.

Bernard-Henri Lévy
Le testament de Dieu
(Grasset)
Avec La barbarie à visage humain, l'un des titres autour desquels s'est cristallisée la querelle soulevée par la nouvelle philosophie, Bernard-Henri Lévy concluait, dit-il, « par un appel à une intransigeante lucidité critique ». Avec Le testament de Dieu, il voudrait répondre à cette question : « L'horreur étant ce qu'elle est, au nom de quoi les hommes peuvent-ils ici, maintenant, concrètement, s'y opposer et la refuser ? » En somme, après une critique se voulant radicale, sur quels principes peut-on fonder une espérance pour les temps présents ?
La réponse de Bernard-Henri Lévy commence par une mise au point à propos du politique. Pour dénoncer aussi bien les tenants d'un État ayant un projet de société ou un dessein mobilisateur que les partisans d'un dépérissement de l'État. Un État minimum est nécessaire, mais cet État ne doit en aucun cas se prétendre le garant d'une quelconque politique morale : « Mon idéal de l'État, autrement dit, c'est l'État sans idéal. » L'une des conséquences indirectes de cette attitude est la méfiance que doivent inspirer le recours aux masses, l'écoute du peuple et le rêve autogestionnaire, face inversée et partant symétrique du socialisme totalitaire. À partir de ces constats établis à la lecture de l'histoire moderne, Bernard-Henri Lévy cherche à remonter jusqu'aux sources philosophiques de la négation de l'individu, chemin au bout duquel il croit pouvoir placer le grand modèle de la cité grecque : Athènes. Si le XXe siècle a pu forger de sinistres politiques totalitaires avec camps de concentration et goulags à l'appui, n'est-ce pas qu'il a voulu à sa manière revenir au paganisme de l'Antiquité ? Et l'un des rêves de ces totalitarismes n'est-il pas, par référence à la « nouvelle religion » déjà au cœur de la philosophie des lumières ou du romantisme, de « liquider l'héritage et la tradition monothéistes » ? En d'autres termes, « plus actuel qu'on ne le croit, le conflit du paganisme et du monothéisme » a donné naissance à un XXe siècle qui n'est nullement un siècle athée : « C'est le contraire d'un matérialisme plat au sens où on l'entend toujours et qu'il tente parfois, si benoîtement, d'accréditer. C'est un âge religieux, plus religieux que nul autre sans doute, mais d'une religion païenne dont les dieux, les idoles de pierre et de bois, s'appellent État, Nature, Camps ou Parti. »
Pour se défaire de ce paganisme meurtrier, Bernard-Henri Lévy pense qu'il est urgent de réentendre la « Parole immémoriale » de la Bible, « Le livre de Résistance » par excellence. Et, suivant les traces d'un Emmanuel Levinas, c'est dans l'interprétation du texte biblique qu'il trouve des commandements pour l'heure présente tout en précisant qu'il sait le ciel « vide et sans Dieu » : « La première expérience de l'homme hébreu est celle d'une séparation radicale, d'une étrangeté absolue, de l'absence du ciel sur la terre et de la terre au ciel : de l'inexistence radicale de celui qu'il appelle son Seigneur. »