Journal de l'année Édition 1979 1979Éd. 1979

Pour la France, cette orientation est très importante. Nous sommes — avec l'Italie et le Japon — le pays le plus touché par la hausse du pétrole, car les Allemands ont du charbon ; les Anglais et les Américains aussi, avec, en plus, du pétrole. Le Japon a une balance extérieure excédentaire avec laquelle il peut payer le coût de la hausse du pétrole. La France doit se battre pour gagner les dollars avec lesquels elle paiera son pétrole. Elle a besoin, pour cela, d'un environnement international qui ne soit pas trop dépressif. Or, elle exporte principalement en Europe et en Afrique. Ce dernier continent est particulièrement affecté par la hausse du pétrole. Les débouchés risquent d'y être restreints. Il faut donc absolument que la France conserve ses positions en Europe et, singulièrement, en Allemagne, son principal client.

C'est d'autant plus vital pour l'économie française qu'elle est la seule où le chômage se soit sensiblement aggravé entre 1978 et 1979. Partout ailleurs, en Europe, la situation de l'emploi s'est améliorée ou stabilisée. Voici la proportion de chômeurs dans la population active au printemps 1979 (entre parenthèses, les chiffres de 1978) :
Luxembourg : 0,8 (0,9)
Allemagne : 3,8 (4,3)
Pays-Bas : 4,4 (4,3)
Grande-Bretagne : 5,4 (5,6)
France : 6,0 (5,0)
Danemark : 6,5 (7,4)
Italie : 7,8 (7,2)
Belgique : 8,4 (8,0)
Irlande : 9,0 (9,7)

La France est le seul pays de la Communauté européenne où le chômage s'est accru de 20 % en une année. Cela s'explique principalement par la situation démographique. La crise a frappé la France au moment précis où se cumulaient — dans des proportions sensiblement plus fortes que dans les autres pays — l'entrée sur le marché du travail des classes pleines d'après guerre et la sortie des classes creuses nées pendant la Première Guerre mondiale. C'est ainsi qu'il y a 20 ans le solde net des emplois à créer chaque année, en France, pour faire face à la seule évolution démographique, était de 20 000. Aujourd'hui, il est de 200 000 : dix fois plus. Aucun autre pays européen ne se trouve dans la même situation. Si l'on ajoute à cela l'évolution du taux d'activité des femmes, le nombre d'emplois à créer chaque année approche 250 000.

Prudence

Le gouvernement ne peut donc absolument pas se permettre de laisser tomber le taux de croissance de la population à un niveau trop bas, ce qui porterait, en peu d'années, le nombre de chômeurs au-delà de 2 millions. Cela explique la relative prudence de R. Barre dans ce domaine. Le chef du gouvernement a sans cesse mené une politique plus sévère en paroles qu'en actes. Il a empêché, par l'accroissement des dépenses sociales et le déficit budgétaire, que sa politique de rigueur ne dégénère en catastrophe pour l'emploi. C'est ainsi qu'en 1978 il a créé, à l'automne, un Fonds spécial d'adaptation industrielle, doté de 3 milliards de F, pour créer des emplois dans les régions frappées par la crise de la sidérurgie (Nord-Pas-de-Calais et Lorraine) et celle de la construction navale (Marseille, Saint-Nazaire). Il a favorisé, en 1978 — puis à nouveau au printemps 1979 — les investissements créateurs d'emplois et générateurs d'économies d'énergie et de ventes à l'étranger. Sur le plan social, il a mis en œuvre, en 1978, un deuxième pacte pour l'emploi des jeunes, qu'il a renforcé en 1979, donnant ainsi naissance à un troisième pacte valable pour deux ans. Ce troisième pacte devrait permettre de donner une occupation rémunérée (emploi ou stage) à quelque 400 000 jeunes. Parallèlement, le gouvernement prévoit des dispositions pour réduire progressivement le nombre des étrangers travaillant en France.

De fait, ce qui s'est passé en 1978-1979 a mis en évidence les deux problèmes majeurs avec lesquels la France est condamnée à vivre pendant de nombreuses années : l'énergie et l'emploi. Ces deux problèmes expliquent l'échec du VIIe Plan (1976-1980) et les conditions dans lesquelles la préparation du VIIIe Plan (1981-1985) a été entreprise. La France est à la recherche, simultanément, d'une croissance « plus sobre en énergie », selon les paroles du chef de l'État, et « plus riche en emplois », selon les termes du rapport sur les options du VIIIe Plan.