À Paris, le cardinal François Marty interdit en conséquence à l'un des jeunes prêtres ordonnés, l'abbé Emmanuel du Chalard, de célébrer sa première messe le 3 juillet. Celle-ci a lieu néanmoins dans la soirée aux Arènes de Lutèce. Quelques jours plus tard, le 10 juillet, le cardinal répond par une déclaration aux lettres de protestation que sa décision d'interdiction a suscitées : « Il ne s'agit pas dans cette difficulté présente, souligne-t-il, du latin ou de la soutane. L'enjeu est trop grave : il touche l'Église en son unité. »

De son côté, Mgr Lefebvre rend publique, le 12 juillet, une lettre qu'il avait adressée le 22 juin à Paul VI. Il l'accompagne de ce commentaire : « Il ne s'agit pas d'un différend entre Mgr Lefebvre et le pape Paul VI. Il s'agit de l'incompatibilité radicale entre l'Église catholique et l'Église conciliaire, la messe de Paul VI représentant le symbole et le programme de l'Église conciliaire. »

A divinis

De chaque côté, les positions sont ainsi prises. La crise ira désormais crescendo.

La Congrégation pour les évêques fait savoir au fondateur d'Écône, le 22 juillet, qu'il est suspendu a divinis (sanction qui lui interdit d'exercer les fonctions découlant des ordres sacrés : célébration de la messe, administration des sacrements, prédication). Cette mesure suscite une vive émotion, surtout en France, en Suisse et en Belgique, mais aussi en Allemagne. De nombreux évêques (à commencer par Mgr Roger Etchegaray, président de la Conférence épiscopale française) s'adressent aussitôt aux catholiques pour les inciter à demeurer fidèles au pape. Mais, dans son texte du 3 août, Mgr Etchegaray écrit aussi : « Voici pour tous l'heure de nous demander devant Dieu si nous n'avons rien tronqué ni altéré dans la mise en œuvre du Concile. » C'est le signe que l'épiscopat s'interroge : n'est-il pas allé trop vite et trop loin dans l'application des réformes ? N'a-t-il pas manifesté une trop grande tolérance à l'égard de ceux qui dépassaient ce que le Concile avait prévu ? Cette interrogation se fera bientôt plus insistante. D'autant que, selon un sondage de l'Ifop publié le 13 août par le Progrès de Lyon, 28 % des catholiques disent approuver les prises de position de Mgr Lefebvre.

Messe de Lille

La tension croît durant tout le mois d'août. Le fondateur du séminaire d'Écône annonce qu'à la fin de ce mois il célébrera en public une grand-messe solennelle à Lille : en raison de la sanction qui le frappe, cette cérémonie peut apparaître comme un défi au pape. Auparavant, le Vatican rend publique une nouvelle lettre dans laquelle Paul VI demande à Mgr Lefebvre, sur un ton jugé conciliant, de se soumettre. Mais le 29 août, à Lille, le prélat célèbre la messe devant 6 000 personnes, un grand concours de journalistes et de caméras de télévision. Dans un long sermon, il exalte les anciennes traditions, accuse l'Église conciliaire d'être « schismatique », dit son intention de persister dans la voie qu'il s'est tracée, s'en prend aux idées de la Révolution française et loue le régime politique de l'Argentine (ce qui provoquera quelque déception chez certains de ses partisans : reprochant habituellement aux prêtres d'avant-garde de mêler politique et religion, ils déplorent que l'on puisse adresser le même reproche à l'évêque traditionaliste).

La crise rebondit deux semaines plus tard. Le 10 septembre, un prêtre italien, l'abbé de Bellarte, prend l'initiative d'amener Mgr Lefebvre à Castelgandolfo, où le pape réside pendant l'été. Il fait remettre à Paul VI une lettre du prélat, qui déclare : « Je n'ai jamais eu l'intention d'aller contre l'Église et encore moins d'offenser le pape. Je regrette donc la souffrance que j'ai pu lui causer en conséquence de la position que j'ai prise. »

Polémiques

Après avoir consulté ses collaborateurs, le pape le reçoit le lendemain. L'audience dure trente-cinq minutes. Mais elle ne résout rien. Bien au contraire, car elle donne lieu aussitôt à des interprétations contradictoires. Mgr Lefebvre laisse entendre qu'on lui a fait entrevoir un « feu vert », bien que, selon ses propres termes, il ne soit pas « allé à Canossa ». Mais le P. Panciroli, directeur de la salle de presse du Saint-Siège, répond : « Depuis quelque temps, il ne se passe de jours sans qu'il y ait une déclaration ou une interview de Mgr Lefebvre. Si l'on voulait rectifier ou préciser toutes les inexactitudes qu'elles contiennent, on finirait par répéter ce qui a déjà été dit et redit. »