À propos de Besson et de Wilson, on notera que c'est la première fois (à l'exception du bref passage du Living, en 1968) que le Festival, lui aussi, commence à s'ouvrir aux artistes étrangers. Influence de Nancy, qui est à l'origine du mouvement. Mais, dans la capitale lorraine, on a eu l'impression, cette année, que le Festival piétinait un peu, pour son quinzième anniversaire, âge difficile. On a eu plaisir, toutefois, à y retrouver le Bread and Puppet, avec un spectacle très pur, très simple (et très achevé), qui racontait l'aventure de Jeanne d'Arc à la manière d'un merveilleux livre d'images, destiné aux grands enfants que le théâtre ressuscite en nous, parfois, le temps d'une illusion.

Province

Tandis que les artistes venus d'ailleurs apportaient, à Paris surtout, le concours de leur talent (on peut ajouter à cette liste non exhaustive le nom de John Dexter, par exemple, à qui Equus doit autant, peut-être, qu'à l'auteur et à François Périer, remarquable une fois encore dans un rôle difficile et passionnant), on a de plus en plus le sentiment que les meilleurs parmi les metteurs en scène français se sont dispersés à travers la province.

Ainsi, c'est à Strasbourg, dans le superbe décor des Haras, qu'on a pu voir le meilleur spectacle de l'année 1976, d'après le palmarès de la critique. Il s'agissait du Baal de Brecht, restitué dans son originelle sauvagerie par André Engel, dont l'intelligence inventive sort le théâtre des sentiers battus. Il l'a prouvé une nouvelle fois, en 1977, quand il a présenté, toujours à Strasbourg, un singulier Week-end à Yaïck, très librement inspiré du Pougatchev d'Essenine, et qui posait sans concession, d'une façon insolite, les problèmes cruciaux de notre société en mal de mutation.

C'est à Strasbourg encore, au TNS que Jean-Pierre Vincent a monté un Misanthrope décapé, janséniste, auquel Philippe Clévenot donnait une apparence un rien lugubre, mais forte, tandis que Jean Jourd'heuil. à travers une présentation glaciale, rigoureuse et stylisée, s'efforçait, dans Chatterton, de pourchasser le romantisme, au profit d'un message social d'ordinaire tout à fait occulté chez Vigny.

C'est Strasbourg, éternellement, qu'on a retrouvé à Toulouse et à Lyon, puisque Bruno Bayen et Roger Gironès y ont fait leurs premières armes. Attiré par la littérature allemande, Bayen a tenté de rendre vie à un drame de Goethe assez rarement joué : Torquato Tasso. Trop intellectuelle, son approche ne réussissait pas à retenir l'attention du spectateur le mieux disposé. À Lyon, Gironès s'est également attaqué à une œuvre peu connue : La reine Christine, de Strindberg. Si le coup d'œil était superbe (il s'agissait d'un somptueux décor de gare 1900), il faut bien avouer que la pièce se dissipait totalement dans cette transposition ferroviaire assez inexplicable. Le délire du baroque, pourquoi pas ? Encore faut-il que ce soit justifié par une analyse claire des ouvrages qu'on prétend servir.

À Grenoble, ce fut le cas cette année, par deux fois. Il y eut d'abord la très belle représentation du Palazzo mentale de Bourgeade, conçue par Georges Lavaudant, avec un brio surréaliste d'une indéniable puissance d'évocation. Mais l'événement fut aussi l'exceptionnelle mise en scène d'Hamlet, méditée par Daniel Mesguisch. Assez assuré pour renoncer désormais à l'esbrouffe et à la pédanterie des références culturelles excessives, ce jeune homme a démontré sa maîtrise, même sur un plateau de vaste dimension. Soudain, les dédoublements, les clins d'œil, les trouvailles s'expliquaient d'elles-mêmes, et la tragédie s'envolait, irréelle, présente, insoupçonnable. L'Hamlet de Jean-Pierre Bisson, à Nice, aura évidemment souffert de la comparaison. Il faut toutefois reconnaître que sa désinvolture insolente apportait à sa façon un brin de nouveauté au culte des classiques.

Achevons ce tour de France de la décentralisation par quelques villes de moindre importance (théâtrale). On citera Caen, où Claude Yersin a lui aussi représenté un Lorenzaccio, plus discret que celui de Zeffirelli, mais aussi plus honnête dans sa modestie. On citera Metz, où Jacques Kraemer, avec une sévérité juste, qui fuyait l'émotion trop facile, racontait la tragique histoire de L'oncle Jakob. On citera Reims, où Robert Hossein, pour son dernier spectacle, a représenté une très sage mais très jolie adaptation de Manon Lescaut. On n'oubliera pas non plus Gildas Bourdet et ses camarades de la Salamandre, dans le Nord, à qui l'on doit un Martin Eden très attachant, souvent exemplaire, d'après le roman de Jack London.

TNP

Reste évidemment sur cette liste un grand absent : le TNP, qui réside, en principe, à Villeurbanne. Mais, cette saison, c'est à Chaillot et à la Porte-Saint-Martin que Chéreau et Planchon avaient décidé de montrer leurs créations. Après une reprise de La dispute et de Tartuffe, succès des années précédentes, les Parisiens, moins heureux que les spectateurs de Bayreuth, ont pu apprécier une nouvelle mise en scène de Chéreau, mais une seule : celle de Loin d'Hagondange. Déjà représentée dans une production de l'auteur lui-même, la pièce très intimiste de Jean-Paul Wenzel devenait une manière de grand opéra de la solitude, esthétiquement fort réussie, comme toujours, mais peut-être bien sophistiquée pour un pareil sujet. La tendresse n'y trouvait pas toujours son compte.