Planchon, pour sa part, a donné trois œuvres : deux montages, et une pièce de lui. AA, d'après Arthur Adamov, a paru plutôt confus, malgré sa beauté plastique et la présence inspirée de Laurent Terzieff dans le rôle de l'auteur. Folies bourgeoises, pot-pourri tiré des vaudevilles chers à la Petite Illustration d'avant-guerre (de 1914), a semblé plus réussi, plus homogène, mieux rythmé, mais tout aussi vague que son propos. Quant à Gilles de Rais, que Planchon a signé lui-même, c'est un drame mystique où il a probablement mis beaucoup de ses propres doutes. Mais il faut qu'une œuvre atteigne à l'universel pour toucher le public, surtout quand il s'agit d'un public populaire. Il est donc permis de se poser des questions sur l'itinéraire incertain d'un de nos plus brillants créateurs. Où va-t-il ? Et, plus généralement, où va le théâtre populaire ? De toute évidence, le moment est venu de le repenser. L'héritage de Jean Vilar a fait son temps : celui d'une génération.

L'héritage des classiques n'est pas plus facile à gérer. Doit-on choisir la tradition sans surprise, comme l'a fait Pierre Dux lorsqu'il a remonté Le Misanthrope, ou en prendre le contre-pied, à l'exemple de Jacques Rosner, metteur en scène d'un Mariage de Figaro déporté dans quelque HLM intemporel ? Seul, l'Oncle Vania selon Jean-Pierre Miquel a su opter pour un moyen terme intelligent parmi ces voies divergentes, alors qu'Anne Delbée, au Théâtre de la Ville, n'a pas retrouvé, avec Les brigands de Schiller, le bonheur imaginatif de son Échange claudélien, l'an passé.

Les auteurs du XIXe siècle ont d'ailleurs attiré de nombreux hommes de théâtre, cette saison. Jean-Louis Barrault a tiré de l'oubli un mélodrame de Villiers de l'Isle-Adam, Le nouveau monde ; il en a fait un spectacle parodique, très enlevé, réjouissant, une manière de roman d'aventures où l'enthousiasme de son tempérament pouvait se donner libre cours. Maurice Clavel a réinventé la dernière pièce d'Ibsen, Irène, où Silvia Monfort trouvait un personnage à sa mesure, lyrique et délirant. C'est elle encore qu'on aura pu reconnaître dans La dame de la mer, autre drame d'Ibsen, où elle incarnait cette fois une Bovary scandinave, aux rêveries joliment démodées, parmi les fjords et les ombrelles.

Balzac, qui n'a guère eu le loisir de s'intéresser au théâtre, aura pourtant occupé deux scènes : l'une à Gennevilliers, où Bernard Sobel a tenté d'adapter Les paysans comme s'il s'agissait d'un pamphlet contre les grands propriétaires, ce qui était peut-être aller trop loin dans la trahison, avec les meilleures intentions du monde ; et l'autre à Paris, au théâtre de l'Atelier, où Jean Le Poulain fut un Faiseur caricatural, mais d'une grande efficacité comique.

Classiques

Notre époque a aussi ses classiques. Du moins commencent-ils à le devenir. C'est le cas de Cocteau, par exemple, dont on a repris avec succès Les parents terribles. Une occasion de voir Jean Marais dans le rôle du père, après qu'il eut créé celui du fils, tandis que Lila Kedrova succédait brillamment à Yvonne de Bray, et Madeleine Robinson à Gabrielle Dorziat. Le bon vieux temps retrouvé, autour d'un bon vieux mélo solidement ficelé, avec de la poésie en prime.

Pour Giraudoux, l'expérience aura été moins heureuse : Amphitryon 38, ses grâces, ses afféteries, sa préciosité, résiste moins bien que La guerre de Troie ou La folle de Chaillot ; chez les grands écrivains eux-mêmes, il y a toujours du déchet. Il faut un peu de recul pour s'en rendre compte. De Sartre, par exemple, que penser ? Trente ans après, Les mains sales continuent de poser un problème d'actualité, mais la leçon qu'en tire le public n'est sûrement pas la même qu'en 1948...

Pour Beckett, la contre-épreuve est assez positive. En attendant Godot a survécu au traitement de choc que l'excellent Jean-Paul Farré lui a fait subir : même poussée au burlesque, la pièce conserve sa puissance tragique. Ionesco, en revanche, a moins bien supporté la cure imaginée par Lucian Pintilié. Dans cette mise en scène baroque, foisonnante, il ne restait plus de Jacques ou la soumission qu'une pochade longuette, un prétexte à pitreries, alors que Le roi se meurt, dirigé par Jorge Lavelli, gagnait au contraire en force dramatique, avec le concours, il est vrai, d'un Michel Aumont au mieux de son talent.