Face à leur prolifération, l'État se retrouve avec des modes d'intervention nécessairement limités, rigides, centralisés et un budget ridicule. La profession, inorganisée, avec un enseignement anarchique et une absence de statuts, ne peut guère faire qu'un constat de carence. C'est toute une restructuration qui s'impose, non seulement à l'échelon national, mais au niveau des régions, des communes, des cours de danse et des conservatoires.

Sous la poussée, des initiatives sporadiques s'amorcent : dans de nombreuses MJC (Maisons des jeunes et de la culture) de banlieue ou de province, on voit fleurir des ateliers, des stages, des animations. Les municipalités de La Rochelle, Saint-Étienne, Angers, Grenoble, etc. font un effort pour favoriser ce mouvement. La ville de Chalon-sur-Saône a consacré son mois de juin à la danse, avec projections de films, spectacles, ateliers et débats. N'est-il pas symbolique que la dernière tournée de Nikolaïs ait eu lieu dans la France entière, sauf à Paris. Un besoin est né un peu partout, encore confus mais irréversible.

Somnolence

Du côté du ballet traditionnel, la saison 1976-1977 n'a guère été propice à la création. Le malaise et la crise financière de l'Opéra de Paris se sont cristallisés dans la révolte des danseurs. Rolf Lieberman a dû faire appel à Violette Verdy comme directrice de la danse ; toute la réorganisation du ballet repose sur ses épaules. L'Opéra manque, surtout, de créateurs, et la formation de nouveaux chorégraphes est une œuvre de longue haleine. On remarque actuellement, dans la jeune troupe du Palais Garnier, des éléments de qualité (Charles Jude, Patrick Martin, Florence Clerc), qui n'ont pas eu à rougir de la comparaison avec les danseurs du Bolchoï dans leur interprétation d'Ivan le Terrible.

Paris reste un lieu d'accueil privilégié. La tournée du Bolchoï a permis de découvrir au Palais des Congrès une troupe prestigieuse et d'ajouter deux noms à la liste des étoiles soviétiques, Séméniaka, bouleversante dans Le lac des cygnes, et la jeune Pavlova, au nom prédestiné. La déception est venue du choix du répertoire, entièrement centré sur les productions de l'actuel directeur de la danse, Grigorovitch. Sa façon de dépoussiérer les chefs-d'œuvre du passé manque de poésie et son Spartacus, conventionnel à plaisir, ne tient que grâce à l'interprétation bouleversante, sublime, de Vassiliev.

Absente de cette visite officielle, la Plissetskaïa est réapparue l'été à la Cour carrée du Louvre avec sa fougue, sa flamme, sa foi, pour danser de manière personnelle deux ballets de Béjart, Boléro et Isadora Duncan (qui devient un dialogue affectif entre l'artiste et les spectateurs). Plissetskaïa a fait de ces deux ouvrages un cheval de bataille. Grâce à eux, elle parcourt un monde sans frontières, où la danse se rit de la politique et des idéologies.

La Cour carrée du Louvre a également accueilli l'American Ballet Theatre de Lucia Chase. Avec Martha Graham et Balanchine, c'est la grande trilogie de la danse américaine que Paris aura pu applaudir.

Pendant ce temps, Roland Petit, implanté à Marseille, se complaît dans de somptueux ballets-divertissements, dont témoigne une allègre version de Casse-noisette, à mi-chemin entre Offenbach et Fred Astaire. À Nancy, le jeune Roumain Gheorges Cacilieanu s'est affirmé comme un créateur original ; il tend à établir dans la région lorraine une tradition de danse contemporaine. En revanche, le départ de Vittorio Biagi de Lyon, celui de Peter Van Dyk de Strasbourg compromettent l'avenir du ballet dans deux grandes cités où ils avaient su, dans des genres différents, amener à la danse un large public. Là, comme partout, l'année s'est achevée sur un point d'interrogation.

Changement de cap

Et Béjart ? Ses grands ballets marchent sans lui, à New York, où, malgré l'accueil réservé de la critique, ils ont attiré des foules ; à Moscou, où L'oiseau de feu, dansé par Michael Denard et la troupe de l'Opéra de Paris, a fait un triomphe.

À cinquante ans, Maurice Béjart souhaite se consacrer aux expériences de laboratoire et prendre du recul. L'éclatement des formes théâtrales lui ouvre des voies nouvelles sur la lancée d'Antonin Artaud. Après la fondation de l'école pluridisciplinaire de Mudra, il a créé Yantra, groupe prospectif restreint. Ses dernières productions comme Notre Faust et Héliogabale sont marquées par cette orientation philosophico-esthétique.