La danse est privilégiée dans ces expériences, mais pas n'importe quelle danse, pas la danse classique enfermée dans ses codes et sa technique (elle continue d'ailleurs à évoluer dans son propre champ). Seule la modem dance, langage physique, concret, où l'interprète peut à tout instant exprimer son intériorité, permet de vivre la danse. Le travail d'un Merce Cunnigham, cassant la notion de perspective théâtrale, celui d'un Nikolaïs, incluant les techniques de l'audiovisuel à une scénographie où le corps du danseur se dissout, ont ouvert la brèche où se précipite toute une jeune génération ; beaucoup de femmes (Meredith Monk, Carolyn Carlson, Twyla Tharp, Jennifer Muller, Trisha Brown).

Et déjà, Martha Graham redécouverte, l'an passé, au Festival d'automne, fait figure de classique. La jeune danse s'élève contre le caractère psychologique de ses ballets. Elle éclate dans plusieurs directions :
– le ballet-théâtre. S'il refuse de délivrer un message, de s'appuyer sur un argument anecdotique, s'il recherche une communication directe avec le public, c'est un spectacle organisé qui peut suggérer, par sa chorégraphie, sa mise en scène ou le choix des musiques, une certaine couleur émotionnelle reflétant les aspirations et la vie de la jeunesse contemporaine. Lar Lubovitch, Louis Falco, Pilobolus ou le London contemporary dance Theatre de Robert Cohan en sont des exemples ;
– le ballet d'avant-garde. Très actif à New York, il est surtout influencé par les arts plastiques (mouvement minimal) et la musique répétitive. Sous la dénomination de Post-modem dance, il a fait l'objet d'une session d'hiver au centre culturel du Marais. Sa particularité : le refus absolu de toute subjectivité. Le corps ne renvoie plus à l'homme ; il devient élément de couleur, vibration, volume ou graphisme. Le mouvement est une fin en soi ; l'artiste est lui-même. Ainsi procèdent Trisha Brown, Lucinda Child, Douglas Dunn, Nancy Topf ou Suzan Buirge ;
– la danse rituelle. C'est tout l'opposé : il s'agit de retrouver, à travers des techniques de la transe ou de l'hypnose, un certain sens du sacré, une dimension cosmique de l'être. Les danses giratoires d'Andy de Groat, les parcours somnanbuliques d'Arcangelo-Mayer, le théâtre monochrome de Hideyuko Yano ou la gestuelle du groupe japonais Buto-Sha inspirée des arts martiaux répondent à un même besoin ;
– la danse engagée. Elle est le fait de jeunes chorégraphes qui, en associant la parole au mouvement, entendent exprimer une idée, transmettre un message : Théâtre de la Cité à Quevilly près de Rouen, Théâtre de la Traboule à Lyon, Atelier de Serge Keuten à Paris, ces enfants de mai 68 ont bien du mal à trouver un style. Mais le Théâtre de la Quadra a réussi à suggérer, avec une grande économie de moyens (un danseur, un guitariste-chanteur et un acteur), toute la grandeur et la misère du prolétariat espagnol.

Triomphe

Émanation, synthèse, dépassement de tous les genres, l'œuvre de Carolyn Carlson s'est définitivement imposée. Élève de Nikolaïs, influencée par Bob Wilson, Carlson a su, avec son scénographe John Davis, créer, à partir du mouvement, une véritable poétique de l'espace. This, That, The Other prouve qu'elle est capable de se renouveler. Son inspiration est vaste ; elle prend sa source à la fois dans l'imaginaire et dans le quotidien. Carolyn Carlson a triomphé au Théâtre de la Ville, à l'Opéra de Paris, à Avignon où elle a assuré le stage de danse à la chartreuse de Villeneuve, en Italie et en Finlande, à Chiraz où elle fut l'invitée privilégiée.

La prolifération des spectacles de danse moderne, l'engouement que lui porte le jeune public ont conduit des compagnies bien assises à se remettre plus ou moins en question. Le Théâtre du Silence a cherché à élargir son langage en travaillant avec Lar Lubovitch (Avalanche, Cité Véron), puis avec Merce Cunnigham, qui lui a donné son ballet Sommer-space. Quant à Félix Blaska, il a dissous sa troupe, après l'échec de son ballet freudien, Histoire de loups. Il prépare un nouveau départ en faisant appel aux techniques d'expression moderne.

Espoirs désordonnés

Ces techniques, axées sur l'improvisation-création, l'exploration du mouvement, du son, de la forme, du temps et de l'espace, sont pratiquées par bien des jeunes compagnies. Elles sont à l'origine du succès du concours de Bagnolet, le Ballet pour demain, ouvert aux professionnels comme aux amateurs et prolongé par une réflexion des lauréats au centre culturel des Prémontrés. Bagnolet, supporté en grande partie par la municipalité (celle-ci a conçu également un projet de centre polyvalent axé principalement sur la danse), a révélé quelques chorégraphes en puissance (Dominique Bagonet, Jean Rochereau, Jean-Claude Ramseyer, Jane Honor, Stéphane Bricard-Hampe, Charles-Henri Pirat) ; il a surtout mis en évidence l'existence de groupuscules marginaux, soucieux de s'exprimer et de survivre.