À sa dernière conférence de presse, un mois plus tard, Rolf Liebermann annonçait qu'il ne renouvellerait pas son contrat en 1980. C'était un homme déçu, amer, épuisé, assistant avec mépris aux intrigues de cour qui marquent les fins de règne. Car, effectivement, sa succession est ouverte et les candidats se pressent sans pudeur. La désignation devrait intervenir sans tarder, puisqu'il faut bien trois ans pour préparer les nouvelles productions et, surtout, pour retenir les solistes-vedettes. Restent en lice, le chef d'orchestre Alain Lombard, directeur de l'Opéra du Rhin, et l'ex-chanteur Bernard Lefort, directeur du festival d'Aix-en-Provence. Mais personne ne semble avoir pensé que, si l'opéra se renouvelle plus aujourd'hui par l'interprétation scénique que par l'interprétation musicale, il serait peut-être opportun d'avoir à la tête de la maison un grand metteur en scène. Un Louis Erlo, un Georges Lavelli, un Jean-Claude Riber ou un René Terrasson, par exemple, puisque tout le monde s'accorde à souhaiter que l'Opéra de Paris revienne maintenant à un Français.

Intercontemporain

Il peut paraître singulièrement injuste que le secrétariat d'État à la Culture, celui de Michel Guy puis celui de Françoise Giroud, ait accordé à une nouvelle phalange de musique contemporaine ce qu'il refuse à celles qui existent déjà (4 142 000 F de subvention annuelle de fonctionnement pour entretenir l'Ensemble intercontemporain).

Mais peut-on reprocher à Pierre Boulez, concepteur et promoteur de l'Ensemble, d'avoir eu assez d'autorité professionnelle, de conviction et d'influence pour réussir là où tous les autres avaient échoué ? Ce serait lui faire une bien mauvaise querelle, d'autant que, il faut le reconnaître, notre vie musicale, celle de la création comme celle de la diffusion, a beaucoup à gagner d'une pareille initiative. D'après leurs statuts, les musiciens que dirige Michel Tabachnik, doivent avoir et ont déjà des relations privilégiées avec l'IRCAM (Institut de recherche et de coordination acoustique-musique), pour y mener une recherche de base sur le domaine concret du matériau musical. De plus, l'Ensemble déborde la simple activité de concerts par la formation des jeunes mélomanes et musiciens en ateliers, séminaires, stages (comme ceux déjà réalisés en liaison avec le Conservatoire de Paris) et par l'élaboration et la mise en pratique d'une pédagogie adaptée aux enfants « pour la meilleure perception des musiques contemporaines ».

L'importante participation de l'Ensemble inter-contemporain aux vingt-sept manifestations musicales exceptionnelles qui ont marqué, pendant tout le premier semestre de 1977, l'ouverture du Centre Beaubourg, précise ce double rôle de diffusion et d'exploration qu'il doit tenir dans notre vie culturelle, même si, en l'occurrence, les programmes de ce Passage du XXe siècle ont paru encore très classiques, avec leur priorité accordée aux valeurs indiscutables du grand répertoire moderne. Mais des relations suivies avec les compositeurs français et étrangers de toutes les tendances et une judicieuse politique de commandes devraient en faire rapidement cet outil permanent de stimulation et de diffusion de la pensée musicale actuelle qui manque tant, non seulement en France mais dans toute l'Europe.

Le Passage du XXe siècle, qui doit se poursuivre jusqu'à la fin de l'année 1977, aura permis d'entendre les œuvres de cent seize compositeurs. L'éclat des manifestations mais aussi le prestige personnel de Boulez ont pu, à cette occasion, attirer à Paris et y retenir quelque temps des musiciens et des ensembles de tout premier rang international. Une quantité de virtuoses étrangers, encore peu connus ici, sont venus susciter une efficace émulation chez leurs collègues français. Enfin, les programmes imposés pour la circonstance aux formations parisiennes non spécialisées (Orchestre de Paris, Orchestre national de France, Orchestre de l'Opéra, notamment) ont contribué à les faire sortir de leur routine, tout en leur prouvant qu'il est possible de remporter un franc succès public avec le répertoire contemporain le plus aventureux.

Attente

À l'automne 1976, Marcel Landowski avait imaginé de financer une Caisse nationale de la musique avec une taxe spéciale sur les magnétophones et les cassettes, qui offrent à tous les amateurs de piller impunément la propriété artistique des compositeurs et des interprètes qui ne sont pas dans le domaine public. L'Assemblée nationale devait repousser le projet, car il se confondait, dans l'esprit de son promoteur, avec des vues plus ambitieuses tendant à créer une super-direction de la musique groupant tous les ministères intéressés. Depuis, Marcel Landowski, devenu l'un des conseillers culturels du RPR de Jacques Chirac, s'est engagé plus clairement dans l'action politique, au point qu'il lui sera difficile, désormais, de faire l'unanimité autour de lui.