Armée

La force nucléaire devant l'opinion

En autorisant la campagne de tirs nucléaires prévue dans le Pacifique, malgré de nombreuses protestations tant en France que parmi les riverains, Georges Pompidou avait manifesté sa volonté de voir la mise au point et la modernisation de l'arsenal nucléaire demeurer un objectif prioritaire sous la Ve République. Cinq explosions (les 21 et 28 juillet, les 19, 25 et 28 août 1973) ont lieu après que les autorités françaises aient pris des mesures juridiques pour expulser, le cas échéant, des bateaux étrangers de la zone de Mururoa (Polynésie française). Pour la première fois en huit ans, depuis que des essais sont organisés sur des atolls du Pacifique, la France s'accorde le droit d'intervenir contre des bâtiments jugés contrevenants à l'intérieur d'une zone interdite.

Critiques

Dès la première explosion le gouvernement du Pérou déclare qu'il rompt ses relations diplomatiques avec la France, mais que les rapports consulaires et commerciaux sont maintenus. Les militaires français arraisonnent un navire de plaisance, le Fri, qui manœuvrait dans la zone interdite proche de l'explosion et à bord duquel avaient pris place plusieurs personnalités françaises, parmi lesquelles le général de brigade (cadre de réserve) Jacques Paris de Bollardière. Partisan de la non-violence, le général Paris de Bollardière, compagnon de la Libération, a pris publiquement position contre les essais nucléaires de la France en Polynésie.

Pour avoir manqué à ses obligations de réserve (un général du cadre de réserve reste soumis à la discipline militaire), le général Paris de Bollardière est l'objet d'une décision, par le gouvernement, de mise à la retraite d'office. Cette sanction provoque de multiples réactions ; elle est vivement critiquée par les partis politiques de gauche, et notamment par certains responsables de l'opposition, comme François Mitterrand et Jean-Jacques Servan-Schreiber.

Le ton souvent vif des critiques à l'encontre du ministre des Armées, Robert Galley, s'explique par le fait que, dans le même temps, le gouvernement a absous (voire approuvé) de nombreux officiers généraux d'activé ou de réserve qui n'ont pas hésité à s'en prendre, publiquement ou en privé, aux adversaires de la politique nationale de défense, tel l'amiral Marc de Joybert, chef d'état-major de la marine, qui apostrophe, le 14 juillet, d'un « Messieurs de la prêtrise, occupez-vous de vos oignons ! » resté célèbre à ce jour, les autorités ecclésiastiques (comme Mgr Riobé, évêque d'Orléans), qui dénonçaient, pour des raisons humanitaires, les essais nucléaires de la France.

Interventions

Charles Hernu, membre du comité directeur du parti socialiste, s'attire des remarques désabusées du parti communiste, qui l'accuse de ne pas être fidèle aux propositions du programme commun de gouvernement, parce qu'il est partisan du maintien de l'arme nucléaire nationale. Le parti communiste est suspecté de duplicité par la majorité au pouvoir, parce qu'il lance, à l'adresse des cadres dans les armées, un appel à la réflexion sur les missions et l'organisation d'une défense nationale en France. Enfin, des officiers chrétiens prennent l'initiative, sous l'égide du vicariat aux armées, de rendre publiques leurs suggestions selon lesquelles « la dissuasion fondée sur l'arme nucléaire peut être tolérée comme un moindre mal ».

Deux hautes autorités militaires interviennent dans le débat. Dans le numéro d'août-septembre 1973 de la revue Défense nationale, le général d'armée Jacques Beauvallet, ancien secrétaire général de la Défense nationale, écrit : « En définitive, ne doit-on pas considérer comme la menace la plus immédiatement dangereuse tout ce qui met en cause la cohésion du pays ? (...) La politique de défense de la France reposant pour une bonne part sur l'existence de forces nucléaires nationales, tout ce qui peut s'opposer à la réalisation de ces forces entre dans l'estimation de la menace par les responsables de la défense. » Le 20 septembre 1973, à Paris, le général d'armée aérienne François Maurin, chef d'état-major des armées, lui fait écho, non sans une certaine prudence dans le ton : « L'armée française n'est pas au service du capitalisme, ni à la disposition d'un parti ou d'une fraction de la société, mais aux ordres du président de la République. »

Révélations

De tels propos prennent soudain une étrange résonance lorsque le quotidien parisien le Monde, daté du 17 octobre 1973, révèle que des états-majors de division militaire (l'équivalent de la préfecture de région dans les armées) rendent compte régulièrement, au haut commandement, des activités jugées antimilitaristes des divers partis, mouvements ou organisations politiques et syndicales. Des bulletins trimestriels sur « l'adversaire intérieur » rassemblent des informations qui semblent provenir, selon les circonstances, des renseignements généraux, de la sécurité militaire, de la gendarmerie nationale ou des 2es bureaux des états-majors.