Journal de l'année Édition 1974 1974Éd. 1974

Concrètement, on a chiffré l'ampleur du phénomène : pendant trois ans, il faut que le niveau de vie des Français s'accroisse d'un point moins vite que la production (par exemple de 4 % par an si la production augmente de 5 %). Or, au cours des années récentes, la consommation (c'est-à-dire le niveau de vie) s'est accrue presque aussi vite que la production : 5,8 % pour 6 % de croissance de la production en 1972 ; 5,7 % pour 6,1 % en 1973. La décélération de la croissance du niveau de vie doit être d'autant plus forte que la production elle-même est gênée par l'épuisement des capacités disponibles ou par des causes spécifiques, comme dans l'automobile.

Sacrifices

Il n'est pas si aisé qu'il le paraît de faire revenir la croissance du niveau de vie de près de 6 % en 1972-73 à 4 % en 1974-75. La question se pose inévitablement de savoir qui va faire des sacrifices. Le problème économique devient alors social et politique.

Les Français n'ont guère été éclairés là-dessus pendant la campagne de l'élection présidentielle. Il s'agissait pour chaque candidat de séduire un électoral très hésitant (on l'a vu aux résultats) et, donc, de promettre des friandises plus que des potions. Une fois la fête finie, on est revenu aux choses sérieuses, mais entre-temps la situation s'était encore aggravée.

La hausse des prix, qui avait pris le trot en 1973, a pris le galop en 1974 : elle a été constamment et nettement supérieure à 1 % par mois, seuil qu'elle n'avait atteint qu'une seule fois, en octobre 1973. Le pétrole n'explique pas tout. Les entreprises ont cherché aussi, en relevant leurs prix, à reconstituer leurs profits après les fortes hausses de salaires de 1973 et du début 1974 (plus de 5 % durant le seul premier trimestre pour les salaires horaires du secteur privé). C'est l'illustration la plus claire de cette bataille sociale pour repasser au voisin la charge du transfert international des richesses.

Le nouveau ministre des Finances, Jean-Pierre Fourcade, 45 ans, ancien directeur des prix devenu banquier, a donc arrêté en juin le premier programme sérieux de lutte contre l'inflation. Les seize mesures prises à cette occasion présentent trois originalités par rapport à la politique antérieure : pour la première fois, la France recourt sérieusement à l'arme fiscale en majorant l'impôt sur les bénéfices des entreprises et l'impôt sur les gros et moyens revenus ; pour la première fois également, le gouvernement prend le risque de freiner les investissements des entreprises en faisant supporter principalement par celles-ci le poids de la surcharge fiscale ; enfin, il recourt au rationnement administratif (plutôt qu'au rationnement par l'argent) pour réduire la consommation de pétrole et, par là, réaliser des économies de devises.

Gaspillages

Chacune de ces orientations a, naturellement, été discutée. Au prélèvement fiscal, on reproche de s'appliquer à un système d'imposition injuste et, en conséquence, d'aggraver ces injustices. En réalité, et bien que les Français n'en aient pas conscience, le poids de la fiscalité (y compris les impôts locaux) s'est allégé en France au cours des dernières années : il représentait 25 % du revenu national au début des années 60 et seulement 23,9 % en 1973. L'écart d'environ 1 % représente une sorte de boni de l'ordre de 10 milliards de francs, c'est-à-dire très exactement le montant de l'effort fiscal supplémentaire demandé par J.-P. Fourcade aux Français en 1974.

En frappant les entreprises en priorité, les pouvoirs publics ont accepté le risque de freiner des investissements. Ce que les milieux patronaux ont critiqué en disant que ceux-ci sont nécessaires à la réalisation de nouveaux équipements, sans lesquels on ne créera pas de nouveaux emplois et on ne pourra pas vendre davantage à l'étranger. Le gouvernement estime, lui, qu'il y a aussi du gaspillage dans les investissements, en particulier dans la construction de bureaux et la modernisation du commerce.

C'est aussi pour lutter contre les gaspillages que des restrictions sur l'utilisation du fuel ont été instituées. Mais on reproche alors au gouvernement de s'en prendre au chauffage, besoin de première nécessité, et d'épargner l'automobile, car il n'y a pas de restrictions sur les carburants. Les pouvoirs publics se défendent en disant que le fuel de chauffage représente 40 % de la consommation de pétrole, contre 15 % seulement pour les carburants. Il semble aussi que le gouvernement, pour des raisons politiques, n'ait pas voulu « punir » les Français en les privant de voiture au moment des vacances.

Le plan Fourcade

Le nouveau ministre des Finances, Jean-Pierre Fourcade, a fait adopter, le 12 juin 1974, par le gouvernement, un programme en 16 points pour refroidir l'inflation :
1. Versement par les entreprises d'une majoration de 18 % de l'impôt sur les bénéfices des sociétés, avec un minimum de 3 000 francs payable même par les entreprises ne faisant pas de bénéfice (rendement : 5 milliards de francs) ;
2. Révision du barème des amortissements dégressifs pour réduire les gaspillages en matière d'équipement des entreprises (rendement : 1 milliard de francs) ;
3. Versement par les particuliers d'une majoration de leur impôt sur le revenu de 5, 10 ou 15 % selon le montant de cet impôt et en tenant compte du nombre de personnes dans la famille. Cette contribution sera remboursée en 1975, en totalité pour les majorations de 5 %, à moitié pour 10 % et au tiers pour 15 % (rendement en 1974 : 2,5 milliards de francs) ;
4. Accentuation de la lutte contre la fraude fiscale, qui avait déjà rapporté 3 milliards de francs en 1973 ;
5. Majoration exceptionnelle de 10 % sur les profits immobiliers et majoration de l'impôt sur les plus-values immobilières (rendement : 150 millions de francs en 1974 et 200 millions en 1975) ;
6. Création d'une taxe conjoncturelle pour inciter les entreprises à freiner les hausses de salaires et de profits (applicable en 1975) ;
7. Remboursement à la banque de France pour 3,5 milliards de francs d'avances à l'État, avec les excédents budgétaires de 1974 ;
8. Économies d'un milliard de francs dans les dépenses de l'État en 1974 ;
9. Présentation du budget de 1975 en strict équilibre ;
10. Relèvement des taux d'intérêt sur les livrets de Caisse d'épargne (+ 0,5 % sur l'ensemble et + 1,5 % sur le surplus d'épargne au 2e semestre de 1974) ;
11. Aggravation des pénalités pour faire respecter les restrictions de crédit, celui-ci ne devant pas croître de plus de 13 % entre juillet 1973 et juillet 1974 ;
12. Surveillance des prix pour s'assurer que les baisses sur les matières premières seront effectivement répercutées :
13. Effort volontaire de compression des marges commerciales demandé aux entreprises ;
14. Limitation de la hausse des loyers à la répercussion de la hausse des prix à la construction ;
15. Relèvement de 5 % en moyenne des prix de l'énergie (le litre d'essence est majoré de 5 centimes le 1er juillet 1974) et baisse de la TVA pour les transports en commun ;
16. Restriction quantitative de la consommation de fuel pour le chauffage.

Promesses

En outre, pour enrayer les protestations contre son plan de refroidissement de l'inflation, le gouvernement devait décider en juin un plan social destiné à tenir une partie des promesses électorales : relèvement du SMIC à quelque 1 260 francs par mois, majoration des allocations familiales et du minimum vieillesse, protection des salariés contre les licenciements (une retombée de l'affaire Lip), incitation à l'amélioration des conditions de travail, etc. Au total, le programme gouvernemental a été jugé à l'étranger comme un peu tardif et insuffisant, mais allant dans la bonne direction. Ce jugement est très important pour l'avenir, car la France est redevenue un pays endetté.