Journal de l'année Édition 1974 1974Éd. 1974

La véritable nouveauté de l'année est donc la réapparition d'un déficit extérieur massif et durable. La hausse des prix, qui est pour une part la conséquence du déficit extérieur (puisque celui-ci est dû au renchérissement des produits de base qui pèse naturellement sur les prix intérieurs), en devient à son tour une cause ; car des produits nationaux plus chers risquent de se vendre moins bien à l'étranger. C'est pourquoi, en janvier 1974, G. Pompidou et V. Giscard d'Estaing ont décidé de laisser flotter le franc ; cela a permis d'opérer une sorte de dévaluation occulte de notre monnaie, ce qui abaissait le prix de nos produits sur les marchés étrangers, et singulièrement sur le marché allemand, le plus important pour nous. En six mois, le franc a perdu près de 10 % de sa valeur par rapport au mark.

Une telle politique n'est pas sans danger. En effet, si le franc devait se dévaloriser par rapport à toutes les monnaies, il en résulterait que tous nos achats à l'étranger (payés en devises) coûteraient beaucoup plus cher. Ce qui aggraverait le déficit extérieur et la hausse interne des prix, que l'on prétendait pourtant combattre. On observe souvent, en économie, des effets de boomerang de cette nature.

La succession des campagnes électorales (législatives au début de 1973 et présidentielle au début de 1974) n'a évidemment pas favorisé la mise en œuvre d'une politique vigoureuse de lutte contre l'inflation. Durant toute l'année 1973, le gouvernement français s'est contenté de mesures limitées contre la hausse des prix. Il a agi essentiellement par le crédit, en élevant constamment le prix de l'argent à emprunter.

Expansion

C'est ainsi que le taux de l'escompte est passé de 7,5 % début juillet à 11 % en septembre. Mais, craignant par-dessus tout l'apparition du chômage, il a évité toute mesure d'austérité draconienne. En décembre 1973, en pleine crise pétrolière, V. Giscard d'Estaing, alors ministre des Finances, justifiait la modération de son action entreprise contre l'inflation en disant que le grand problème de l'année 1974 risquait d'être la menace de chômage et non pas la hausse des prix.

C'était également le diagnostic de G. Pompidou. Il est vrai qu'à la même époque les autorités européennes de Bruxelles prévoyaient pour 1974 une chute de la production dans l'ensemble de la Communauté, ce qui ne s'est encore jamais vu depuis la guerre.

En réalité, rien de semblable ne s'est produit, surtout pas en France où l'activité économique est restée l'une des plus vigoureuses de tous les pays de la Communauté. Certes, les résultats de 1974 ne s'annonçaient pas aussi brillants que ceux de 1973 (où les objectifs du Plan ont été dépassés) en matière de production. Mais, avec un taux de croissance de l'ordre de 5 %, la France restait un pays en expansion, malgré les conséquences sur l'industrie automobile de la crise du pétrole.

Peu de temps avant de mourir, G. Pompidou avait eu conscience qu'on ne pouvait plus se contenter de naviguer à la petite semaine. Il avait demandé au Plan de lui faire un rapport sur la situation économique générale et sur les actions à entreprendre pour les prochaines années.

Écart

Ce rapport met en évidence la question fondamentale à court terme : à savoir, le rétablissement de l'équilibre extérieur. Impossible d'y parvenir en quelques mois. Pour combler le déficit en trois ans, il faut que nos ventes à l'étranger croissent plus vite que nos achats, avec un écart de 5 points. Par exemple, si nos importations progressent de 5 %, il faut que nos exportations augmentent de 10 %.

Cela suppose à la fois un freinage des achats extérieurs et une accélération des ventes. Ce qui signifie qu'une plus grande partie des richesses produites en France doivent être vendues à l'étranger et non pas consommées chez nous. D'où la nécessité de ralentir la consommation des Français au bénéfice des exportations. C'est la seule manière d'opérer ce fameux transfert de richesses, dont nous avons vu qu'il était la grande nouveauté de l'économie mondiale depuis 1973.