On pourrait enfin évoquer d'autres signes de refroidissement au niveau des petits sommets nationaux entre responsables de confessions séparées, voire entre chefs d'Églises associées à un Conseil chrétien.

Or, au même moment, l'œcuménisme vécu par la base, soit dans le cadre de communautés informelles, soit dans celui de groupes de foyers mixtes plus structurés, aura accompli de grands progrès. Catholiques, protestants ou orthodoxes, jeunes ou moins jeunes, détachés ou pratiquants ont vécu la même aventure de la foi, aussi bien au sein du mouvement charismatique pentecôtiste, qui a tenu nombre de colloques et de rencontres dans plusieurs continents, qu'au sein d'assemblées engagées politiquement au nom de l'Évangile, en France, en Italie, en Allemagne, etc.

De même, lors des Semaines internationales organisées par la communauté de Taizé, lors de rassemblements encore plus vastes à Düsseldorf ou à Dallas, un œcuménisme de fait a été pratiqué sans que les anciennes causes doctrinales de division soient soulevées.

Blocage

On est conduit à se poser au moins deux questions : pourquoi ce refroidissement au sommet ? Qui, de la base ou du sommet, préfigure l'Église de demain ?

À la première question, on peut répondre comme le cardinal Jan Willebrands, responsable du Secrétariat romain pour l'unité, dans un document paru à la mi-octobre, que l'œcuménisme n'est pas bloqué par le sommet, qu'il poursuit son chemin, mais qu'en ce domaine tout doit être mûrement réfléchi. Seulement, à la même époque paraît une autre instruction romaine qui limite les possibilités déjà restreintes d'intercommunion et qui interdit toute réciprocité en la matière. L'évêque de Strasbourg doit réduire les libertés qu'il avait antérieurement consenties aux ménages mixtes de son diocèse.

Il vaut mieux répondre, comme le fait en août 1973 le Dr Lukas Vischer, directeur de la Commission théologique mondiale Foi et Constitution, tacitement approuvé par le chanoine Moeller, membre du même secrétariat que le cardinal Willebrands. Il déclare qu'en ce temps où la barque des Églises est terriblement secouée par la tempête, l'Église romaine et, avec elle, toutes les Églises cherchent à retrouver leur propre identité.

Après les années d'euphorie, où beaucoup crurent que l'unité visible serait immédiate, chaque Église ou confession paraît conduite à s'interroger sur sa spécificité par rapport aux autres. Cela se vérifie pour l'Église catholique, traversée par de puissants courants contraires, et c'est ce qui explique ses diverses Notes ou Instructions. Cela se vérifie également pour les Églises orthodoxes, inquiètes de voir l'évolution des relations Église-État en Occident, et pour les différentes dénominations protestantes, qui semblent parfois avoir peur de perdre leur propre raison d'être. Et là, en dépit cette fois d'accords historiques au sommet (la Concorde de Leuenberg, en 1972, entre luthériens et réformés), l'unité structurelle et visible est toujours aussi peu avancée, en particulier aux États-Unis et en Europe. Des tentatives d'union ont eu lieu en Afrique et en Asie.

Lucidité

À la seconde question : qui, du sommet ou de la base, préfigure l'Église de demain ? seul un prophète pourrait répondre ! Cependant, certains esprits avertis ont publiquement admis et même déclaré que les appareils ecclésiastiques traditionnels, hérités d'un contexte socioculturel totalement différent du nôtre, ne peuvent pas résister longtemps à la poussée de forces difficiles à analyser, mais significatives d'une nouvelle civilisation.

C'est pourquoi, constatant que nos générations vivent la plus grande rupture de civilisation de l'histoire humaine, des hommes tels que le cardinal Suenens, primat de Belgique, n'ont pas hésité à miser sur le mouvement charismatique, en paroles et en actes ; le cardinal Suenens participe personnellement à des rassemblements de ce mouvement en Belgique, aux États-Unis et ailleurs.

Le cardinal italien Pellegrino, lui, donne son label à l'assemblée de masse des chrétiens solidaires de Turin, où catholiques, protestants et incroyants se côtoient pour la défense des droits de l'homme au Sud-Viêt-nam et au Chili entre autres. Des chrétiens de toute obédience, mêlés à des hommes de bonne volonté, continuent à poursuivre tels combats de libération sociale en Amérique latine, avec le concours de prêtres, de pasteurs et même d'évêques.