La révolution industrielle est considérée comme la cause profonde de cet exode des campagnards vers les villes. Simultanément, chez les nouveaux citadins, naissait une sorte de grande peur psychologique où la ville et ses contraintes font figure d'ennemis de leur santé.

La civilisation urbaine est créditée de l'augmentation des maladies qui nous frappent : le rythme de l'existence quotidienne nous épuise, l'air que nous respirons abîme nos poumons, le bruit ébranle nos nerfs, notre nourriture est empoisonnée par les additifs chimiques, etc.

On va jusqu'à parler d'urbanite, définie comme la pathologie multiface due aux conditions de la vie urbaine, par opposition à l'urbanité, cette politesse que donne l'usage du monde.

Quoi de vrai dans tout cela ? Plusieurs centaines de médecins, réunis à Marseille du 13 au 15 septembre 1973 pour le 19e Congrès français de médecine, décident de répondre à la question, en passant en revue les maladies de la vie urbaine.

Bruit

On distingue classiquement cinq sortes de bruits en fonction de leur origine : circulation et voie publique ; industries et chantiers ; aéroports ; bruits à l'intérieur des bâtiments et au cours des loisirs. Leur impact sur la santé de l'homme est variable.

Les inconvénients du bruit ne sont pas uniquement liés à son intensité, et, selon leur constitution, leur psychisme, leur physiologie, les hommes y sont inégalement sensibles. Tel petit névrosé voit dans le bruit une source supplémentaire à ses souffrances, tel ne se complaît que dans le tintamarre, tel autre est quasi indifférent. Le philosophe Gaston Bachelard, qui habitait l'une des rues les plus bruyantes de Paris, « avait apprivoisé le tumulte et arrivait à s'endormir, bercé par les bruits océaniques de la capitale. » (Dr J.-C. Jacob).

La première victime du bruit industriel est l'oreille ; les surdités d'origine professionnelle constituent une part importante de la médecine du travail, leur prévention ressortissant aux techniques d'insonorisation.

Le cœur est-il sensible au bruit ? Oui ; chez certains individus soumis à un bruit d'une intensité de 96 décibels (un réveille-matin produit 80 décibels), le cœur accélère son rythme, parfois jusqu'à la tachycardie. Les troubles du rythme cardiaque sont plus fréquents chez les sujets travaillant dans une atmosphère bruyante. D'autres sujets présentent une sensibilité digestive : certains ulcères gastro-duodénaux, certains ralentissements du transit intestinal pouvant être attribués aux stress sonores répétés.

Le système nerveux central n'échappe pas aux effets nocifs (électroencéphalogramme perturbé, fatigue nerveuse) ; l'exemple est classique de ces secrétariats d'entreprises où une diminution de l'ambiance sonore de l'ordre de 20 décibels suffit à entraîner une augmentation du rendement de l'ordre de 9 % et une diminution de 29 % des fautes d'orthographe chez les dactylos. La vision elle-même est perturbée par une élévation du seuil sonore, comme le sommeil et le psychisme. L'effet du bruit sur le sommeil est tantôt immédiat (réveil du dormeur), tantôt à terme (induction d'une insomnie intermittente ou régulière). Et les troubles psychiques ? Réponse du professeur Mounier-Kühn : « Le bruit pourrait déclencher des névroses, à condition que l'individu ait une prédisposition à la névrose et un développement infantile névrotisant ; il pourrait aggraver les états névrotiques existants... »

Défense

Comment lutter contre le bruit ? Individuellement, la défense reste modeste. Collectivement, elle est difficile à organiser : le gouvernement français, en janvier 1974, abandonne son projet de « loi-cadre contre le bruit sous toutes ses formes », l'harmonisation des réglementations des pays de la Communauté économique européenne devant demander plusieurs années. Ça et là, pourtant, des mesures locales sont prévues, notamment à proximité des aéroports où se poseront peut-être bientôt les supersoniques de l'aviation commerciale.

Enfin, une contradiction relevée par le professeur Mounier-Kühn : « Il est paradoxal que le citoyen excédé par une vie trop active, déprimé par des soucis multiples, psychologiquement traumatisé par les bruits multiples qu'il rencontre dans sa vie, consacre ses loisirs à des activités bruyantes. » Les machines à bruit (autos, motos, radios, télé, stéréo, etc.) sont devenues des totems collectifs ; le bruit est un toxique social, comme le tabac ou l'alcool, parce que l'homme, s'il ne veut plus boire d'eau claire et ne peut plus se priver de cigarettes, ne sait pas non plus supporter le silence.