Ces forces présentent des caractéristiques très différentes, notamment par leur intensité et leur portée. Ainsi la force forte (ou nucléaire) est cent fois plus forte que la force électromagnétique, et dix mille milliards de fois plus forte que la force faible ; cette dernière, à son tour, est dix millions de milliards de milliards de fois plus forte que la gravitation. Ce qui explique que cette dernière ne joue qu'à l'échelle macroscopique pour les corps de masse importante (à l'intérieur desquels les autres forces sont en équilibre) et ne soit même pas prise en considération dans la physique des particules. Par contre, le champ gravitationnel s'étend à l'infini, alors que l'interaction forte ne joue qu'au voisinage immédiat du noyau. Cependant, les physiciens qui développent la théorie quantique des champs et expérimentent sur les particules n'ont jamais perdu l'espoir, caressé par Einstein, d'unifier les champs fondamentaux et d'exprimer toutes les propriétés de la matière par une seule équation.

Neutrinos

En 1958, Feymann et Gell-Mann, se fondant sur une certaine analogie entre les théories des interactions électromagnétiques et faibles, supposèrent qu'il existe pour ces dernières un quantum jouant le même rôle que le photon dans l'électromagnétisme. Cette particule, le boson intermédiaire, beaucoup plus lourde que le proton, aurait deux formes chargées (positive et négative) et une forme neutre. Selon une théorie due à Weinberg et Salam, l'existence du boson neutre permettrait d'unifier les champs électromagnétique et faible.

Si le boson neutre n'a pu être décelé directement, la théorie indique cependant que, pour qu'il intervienne dans les interactions faibles, il faut admettre la possibilité de courants neutres. Contrairement à la théorie classique, une particule électriquement neutre pourrait interagir avec une autre particule sans se transformer en particule chargée. Ce phénomène devrait être observé avec les neutrinos : c'est ce qu'ont réussi à faire les physiciens européens du CERN.

Gargamelle

Fabriquée en France, la chambre à bulles Gargamelle est plus longue que celle qu'elle a remplacée. En outre, à l'hydrogène on a substitué le fréon, fluide plus dense, ce qui raccourcit le parcours moyen des particules. Dans ces conditions, sur l'un des mille milliards de neutrinos ou d'antineutrinos à haute énergie qui traversent la chambre à chaque impulsion de l'accélérateur (toutes les deux secondes), on a des chances raisonnables d'observer une réaction entre un neutrino et une particule atomique.

Les physiciens du CERN ont obtenu des interactions de neutrinos ou d'anti-neutrinos sur des électrons et des protons, sans modification des charges électriques. Autrement dit, après la collision, les particules neutres restent neutres : on a obtenu les courants neutres interdits par la théorie classique, mais prédits par celle de Weinberg, et qui ouvrent la voie à une unification du champ électromagnétique et du champ des forces faibles. L'électricité et la radioactivité ne seraient plus que deux aspects d'une même force fondamentale.

Unité

Une telle synthèse théorique, si elle était pleinement réalisée – car il subsiste des difficultés –, aurait pour la science une portée tout à fait comparable à celle des équations de Maxwell, qui réunirent l'électricité, le magnétisme et l'optique. Il est possible d'ailleurs qu'on ne s'arrête pas en si bon chemin. D'après les calculs récents de Weinberg et de Salam, en attribuant au boson une masse de 38 fois celle du proton, on pourrait aboutir à une théorie unifiée incluant non seulement les forces électromagnétiques et faibles, mais aussi les forces fortes (nucléaires). Une autre voie vers l'unification des champs électromagnétique et nucléaire pourrait être ouverte par des expériences, actuellement en cours en URSS et en Italie, sur les collisions entre photons à très haute énergie.

Les progrès de la physique fondamentale se caractérisent de plus en plus par une sorte de croyance en l'unité des forces de la nature. L'effort théorique de la recherche appelle la vérification de l'expérience ; des accélérateurs encore plus puissants que ceux de Serpoukhov, de Batavia, ou le futur Super-Cern seront sans doute nécessaires pour poursuivre la chasse aux particules manquantes : le boson (peut-être déjà détecté par l'équipe anglaise de Leeds, mais on n'en est pas sûr) ; les quarks, constituants hypothétiques des protons et des neutrons ; les gravitons, quanta du champ gravitationnel ; et même les fabuleux tachyons, qui iraient plus vite que la lumière...