Un autre aspect caractéristique est l'étroite liaison des laboratoires de tous les pays. L'équipe Gargamelle-Neutrino du CERN comprend des physiciens d'Aix-la-Chapelle, de Bruxelles, de Milan, de l'École polytechnique à Paris, de la faculté d'Orsay et de l'University College de Londres. À peine publiés (juillet 1973), ses résultats ont été confirmés par une expérience effectuée auprès de l'accélérateur américain de Batavia.

Faudra-t-il abandonner les quarks ?

Les anneaux de stockage à intersections du CERN (ISR, Intersecting Storage Rings), où l'on réalise des collisions proton-proton équivalentes à celles que donnerait dans un accélérateur de 2 000 GeV (hors de portée de nos techniques) la rencontre d'un proton avec une cible au repos, apportent de nouvelles surprises sur le comportement des particules dans les zones d'énergie au-delà de 200 GeV.

Partons

L'une d'elles concerne la répartition des diverses particules secondaires produites par les collisions de protons à haute énergie.

La proportion des particules à grande impulsion transversale est beaucoup plus élevée qu'on ne s'y attendait, ce qui semble indiquer qu'il existe, au sein du proton, des particules ponctuelles formant un réseau de noyaux durs. Le physicien Feynman avait proposé un tel modèle composite du proton, en donnant à ces constituants ponctuels le nom de partons. En dehors des observations publiées au CERN, diverses autres expériences paraissent confirmer la réalité physique du modèle des partons.

Par contre, la célèbre hypothèse des quarks, avancée il y a quelques années pour ramener à trois particules fondamentales de charges fractionnaires (les quarks) la multitude foisonnante des particules actuellement connues, pourrait être infirmée par les résultats obtenus en 1973 et 1974 avec des anneaux de stockage à électrons et positons (électrons positifs ou antiélectrons). La collision à haute énergie d'un électron avec son antiparticule entraîne leur annihilation (réaction matière-antimatière) avec production d'énergie. Cette dernière, à son tour, peut se matérialiser en particules telles que les mésons pi (ou pions). Or, il s'est trouvé que ces particules ont été observées en quantités beaucoup plus grandes que ne le prévoit le modèle des quarks ; les résultats sont incompatibles avec ce modèle, qui devra être soit abandonné, soit profondément modifié, et retenu seulement comme outil mathématique.

Une autre notion ébranlée par ces expériences est l'invariance d'échelle, en vertu de laquelle la distribution de l'énergie des particules résultant d'une collision obéirait à une certaine régularité qu'on retrouve à tous les niveaux d'énergie. Cette loi n'a été vérifiée ni dans les mesures effectuées lors des collisions électron-positon à Stanford (États-Unis), ni dans les expériences sur les neutrinos au CERN et à Batavia (États-Unis).

Rupture

L'invariance d'échelle n'était déjà considérée que comme une loi approchée, valable au-dessus d'un certain niveau d'énergie de l'ordre du GeV. Il semble maintenant qu'elle connaît aussi une rupture aux très hautes énergies, comme celles qui sont atteintes ou en voie de l'être avec les accélérateurs de Serpoukhov et de Batavia, ou avec les anneaux de stockage du CERN.

La physique est passée successivement du niveau atomique et moléculaire, où les énergies sont de l'ordre de l'électrons-volt, au niveau nucléaire, avec des énergies de l'ordre du million d'électrons volts (MeV), puis à l'étude des particules, avec des énergies de l'ordre du GeV. Il est possible que la rupture de l'invariance d'échelle aux très hautes énergies annonce la prochaine mise en évidence d'un quatrième niveau quantique.

Hypothèses

Les différents modèles théoriques prévoient l'existence, à ce niveau, de particules beaucoup plus lourdes que le proton. Même si le modèle actuel du quark devait être abandonné (ce qui n'est pas certain), on espère détecter de telles particules dans les événements créés par les nouveaux accélérateurs. La rupture de l'invariance d'échelle à très grande énergie conduit à envisager la possibilité qu'il existe des particules de très grande masse, indépendamment des portraits-robots établis par les schémas théoriques.