Quant aux tribulations du professeur Preobrajenski de Cœur de chien, qui n'a jamais été publié en Union soviétique, elles nous enseignent qu'il est bon, dans certaines circonstances, comme celles que connut la Russie de 1925, d'endurer les tracasseries administratives, les difficultés matérielles et les persécutions morales avec une patience et une ironie canines.

La poésie

La poésie française aura brillé d'un terne éclat au long d'une année sans révélation, sans œuvre de premier plan et, à tous points de vue, singulièrement plus pauvre au niveau de l'édition que celles que nous venons de vivre. Les poètes écrivent inlassablement sans doute, mais les éditeurs se lasseraient-ils de publier ? Pourtant, le fait le plus marquant des douze derniers mois, c'est peut-être, tout bonnement, le vingt-cinquième anniversaire d'une collection.

Merveilleuse gageure

Que pendant un quart de siècle un éditeur impose dans les vitrines des libraires les poètes les plus et les moins célèbres prouve qu'un public existe pour la poésie, quand une idée originale et saine préside à sa diffusion.

La collection publiée par Pierre Seghers, Poètes d'aujourd'hui, fut lancée en 1945 sur un pauvre papier des lendemains de guerre ; Paul Eluard, anthologie présentée par Louis Parrot, fut son premier titre. En mai 1971, le deux centième titre, Jorge Luis Borges, que venait de précéder un Roger Caillois, coïncidait avec un anniversaire que l'édition française peut se féliciter d'avoir à célébrer. L'initiative de Seghers était excellente. Une étude, un choix de poèmes, des documents composaient ces petits livres qui furent souvent, et pendant longtemps, la seule présentation critique et anthologique dont on pouvait disposer sur un auteur, et cela est encore vrai pour quelques-uns (ainsi Anne Hébert, Van Lerberghe, Morand, Vildrac ou Gustave Roud, par exemple).

Si deux cents noms ne laissent pas d'avoir modifié la collection — sur le plan de la représentativité absolue il n'y a plus de commune mesure d'un titre à l'autre —, il n'en reste pas moins vrai que le rôle joué par ces ouvrages a été considérable ; c'était offrir à la curiosité des lecteurs la poésie contemporaine, et bousculer le conformisme d'un enseignement dont la devise aurait pu demeurer le sempiternel wait and see...

On souhaite semblable réussite et pareille longévité à l'édition du fonds Gallimard dans la collection Poésie/NRF (Journal de l'année 1967-68), comme à cette autre initiative de la librairie française, les anthologies de Poésie 1, qui présentent à la fois les Poèmes barbares d'un revenant, Leconte de Lisle, une Anthologie de la poésie française d'humour des origines à 1970, ou de précieux recueils consacrés à des jeunes poètes : le numéro 12 groupe des textes de Bellay, Cousin, Della Faille, Dodat, Fortin, Godeau, Libérati, Malrieu, Perret, Puel, Tilman, Wise.

C'est peut-être bien le miroir de la poésie de demain qui rassemble ainsi ses fragments de puzzle encore indéchiffrable... Chaque recueil étant confié à un critique nouveau, qui assume en toute liberté le choix des auteurs et des textes, on peut espérer voir bientôt se dessiner une sorte de panorama mouvant qui aura décanté l'annuel amoncellement de plaquettes, de livres et de revues dont la diversité révèle toujours plus de conformismes que de vraies options, de confusion que de choix profonds et nécessaires.

Crise d'expression

Car plus les grands aînés s'éloignent, qu'ils se nomment Aragon, Saint-John Perse ou Michaux, plus le fossé se creuse entre une poésie qui s'est nourrie du verbe, et une poésie — ou du moins une manière anarchisante d'écrire — qui renie le verbe, détruit le poème, sème la confusion au niveau des mots, du langage et de la communication.

Une page saupoudrée de caractères typographiques, c'est un peu la tentative de Mallarmé reprise à leur compte par des poètes qui cherchent désespérément comment ne pas écrire qu'ils n'ont rien à dire. À force de vouloir être partout, la poésie n'est plus nulle part, et en tout cas pas dans bien des livres qui cependant s'en réclament encore, fût-ce par dérision (une dérision souvent assez suspecte).