Le 17 octobre 1968, le professeur Sedov déclare que l'Union soviétique s'apprête à intensifier les lancements, à renouveler les expériences du type Zond 5 et à satelliser des équipages autour de la Terre. « Un vol humain autour de la Lune, dit-il, pose encore des problèmes ; notre but est de les résoudre. » Le fait est que 18 engins soviétiques ont été lancés jusqu'à la fin de l'année, soit un tous les quatre jours en moyenne.

Une performance

Des Soyouz, Soyouz 2 (inhabité) et Soyouz 3 (piloté par Beregovoï) ne tardent pas à confirmer ces déclarations, mais, une fois encore, il n'est pas possible de savoir si cette expérience est en rapport avec un futur voyage lunaire ou avec cette grande station orbitale permanente qui constitue l'un des objectifs les plus importants du programme spatial soviétique.

Grand émoi le 10 novembre : un Zond 6 est lancé. Il survolera la Lune le 14 (à 2 450 km d'altitude). Au retour, deux corrections de trajectoire lui permettent de réussir un exploit sans précédent : au lieu de tomber en mer (comme le Zond du mois d'octobre) à une latitude qui est déterminée par la position de la Lune relativement au plan équatorial de la Terre, la sonde subit un premier freinage dans la haute atmosphère terrestre, rebondit, puis descend de nouveau et va se poser au sol en territoire soviétique.

Partout, à commencer par les États-Unis, les spécialistes saluent la performance et, après une déclaration soviétique affirmant que l'engin aurait pu porter un homme à bord, tout le monde considère comme imminent l'envoi d'un cosmonaute autour de la Lune. Il n'en sera rien et les Russes laisseront aux Américains la primeur du vol humain autour du satellite terrestre.

Cruellement ressenti

Certains pensent que les hautes instances de Moscou ont donné un coup de barre au programme spatial soviétique en 1964-65. Le nouveau programme soviétique donnerait la priorité aux stations scientifiques opérationnelles : une plate-forme permanente satellisée autour de la Terre, une station semi-permanente installée à même le sol lunaire ; enfin, des crédits seraient imputés au programme à long terme qui se propose la réalisation d'un voyage planétaire.

Pour d'autres, les Russes auraient été pris de vitesse et, dès lors qu'ils ne pouvaient être les premiers à fouler le sol lunaire, ils n'auraient plus eu de raisons d'être pressés, préférant monter ultérieurement une expédition lunaire de grande envergure.

Reste une troisième explication qui concorde avec les multiples déclarations des savants et des astronautes soviétiques : l'accident qui coûta la vie à Komarov (Journal de l'année 1966-67) a été cruellement ressenti dans un pays où la sécurité du travailleur est devenue une sorte de culte. D'où la tendance observée, depuis l'accident du premier Soyouz, à confier les opérations inédites à des automatismes. À deux reprises, des Zond capables d'emporter un homme et de le ramener automatiquement ont réussi leur vol et, contre toute attente, les responsables soviétiques en sont restés là...

Du côté américain on apprend, le 12 novembre 1968, qu'un vaisseau spatial, Apollo 8, emportera trois hommes passer les fêtes de Noël autour de la Lune.

L'opération n'est pas sans risques : elle n'a pas été rodée préalablement à vide, par une fusée télécommandée ; ce sera, d'ailleurs, la première fois que Saturn 5 lance un engin habité ; enfin, l'époque correspond à une mauvaise période du cycle solaire — un paroxysme d'activité — et pourrait coûter cher aux astronautes.

Essais d'allumages

De nombreux spécialistes, et non des moindres, crient casse-cou. Les faits leur donneront tort. Les Américains ont mis au point des techniques éprouvées et un matériel qui touche à la perfection (la fusée et le vaisseau spatial combleront tous leurs espoirs).

La décision du président Johnson suit de près le succès du vol Apollo 7, qui s'était déroulé du 11 au 22 octobre 1968. C'était la première fois qu'une capsule de cette série était satellisée avec des hommes à bord (Walter Schirra, Walter Cunningham et Donn Eisele) ; mais, cette fois encore, le lancement avait été fait par une fusée Saturn 1 B, qui n'était pas celle du futur vol lunaire, mais seulement son deuxième étage. Le programme du vol comportait, en particulier, huit allumages du dernier étage S 2 B qui avait été satellisé avec la capsule (on sait que le rallumage du moteur dans l'espace est une condition indispensable au retour des hommes envoyés sur la Lune).

Autour de la Lune

L'opération Apollo 8 commence à Cap Kennedy le 21 décembre, à 13 h 51, lorsque la fusée Saturn 5 s'élève en vrombissant au-dessus du pas de tir no 39. Dans la capsule ont pris place les vétérans Frank Borman (commandant de bord) et James Lovell, ainsi que le néophyte William Anders (lequel remplace Collins, opéré d'une excroissance arthritique à la base du cou).