À quelques jours du vote des crédits nécessaires à la construction du réseau Sauvegarde, il est encore impossible de dire si, oui ou non, Richard Nixon pourra faire approuver son programme, tant les sénateurs sont divisés. Ces divergences se retrouvent au sein de l'opinion publique, qui semble, pour la première fois, extrêmement sensibilisée par l'influence du complexe militaro-industriel, où le réseau Sauvegarde compte ses plus chauds partisans.

La lutte contre la pauvreté

L'affaire du réseau antimissiles ne pose pas que le problème d'une relance éventuelle de la course aux armements. Pour les adversaires du projet Sauvegarde, il s'agit aussi d'un choix entre les priorités auxquelles les États-Unis doivent faire face.

Au premier rang de ces priorités figure, pour les libéraux et bon nombre de modérés également, la lutte contre la pauvreté, dont devraient bénéficier en premier lieu les Noirs. Or, pour Nixon, cette lutte contre la misère a été l'occasion de gaspillages importants sous l'administration Johnson et il convient de la restreindre pour être plus efficace.

C'est ainsi que l'organe centralisateur de la guerre contre la pauvreté, l'Office of Economie Opportunities, est démantelé, ses différentes missions étant, après avoir été souvent diminuées, confiées aux différents ministères intéressés. Il en va ainsi, en particulier, d'un programme de formation professionnelle pour la jeunesse des ghettos et d'un programme d'urbanisation des ghettos. Un seul projet est étendu par R. Nixon : il concerne l'aide alimentaire qui est accordée, gratuitement ou à taux réduits, aux plus déshérités des Américains. De 7 millions, le nombre des bénéficiaires de ce programme doit passer à 16.

La contestation des Noirs

Le manque de dynamisme de R. Nixon dans la guerre contre la pauvreté ne fait qu'élargir le fossé qui le sépare des masses noires. Il en va de même de la priorité qu'il accorde à la lutte contre la criminalité et qui vise pêle-mêle les émeutiers noirs, les contestataires étudiants, les « bosses » de la maffia. C'est le seul chapitre de son projet de budget pour lequel il demande une augmentation des crédits. La nomination d'un ancien leader des droits civiques, James Farmer, comme secrétaire adjoint à la Santé, à l'Éducation et au Bien-Être ne suffit pas à regagner la confiance des Noirs.

Par lassitude — ils ont toujours fait les frais des émeutes — et aussi à la suite du renforcement de la plupart des polices municipales, les Noirs semblent s'écarter des voies de la révolte, à l'exception de petits groupes d'extrémistes, étroitement surveillés par le FBI.

Il n'en va pas de même pour la jeunesse universitaire noire, qui augmente, au contraire, sa pression sur les structures universitaires blanches, présentant des revendications qui vont de l'enseignement de l'histoire afro-américaine à la ségrégation pure et simple de l'enseignement et des facilités universitaires (restaurants, dortoirs, etc.). Les plus grandes universités — Brandeis, Harvard, Cornell, etc. — connaissent tour à tour des périodes de fièvre durant lesquelles le drame est évité de peu.

Dans ces affrontements, les étudiants noirs sont appuyés par les radicaux blancs du SDS (Students for Démocratie Society), qui luttent de leur côté, en ayant de plus en plus souvent recours à la violence, contre la guerre du Viêt-nam et l'immixtion des militaires dans la vie universitaire. Ces troubles quotidiens s'étendent, en 1969, aux établissements secondaires, où, comme à New York, ils prennent une signification nettement raciale, opposant Noirs et Portoricains d'un côté, et Blancs de l'autre.

Nixon, qui avait dénoncé à maintes reprises, durant sa campagne, la « crise spirituelle » que traversent les États-Unis et les atteintes aux libertés universitaires traditionnelles, condamne violemment cette extension des troubles, qui se solde par la fermeture provisoire d'innombrables établissements, et réclame aux administrateurs universitaires d'expulser les contestataires qui ont recours à la violence et de les traduire devant les tribunaux.

James Earl Ray

James Earl Ray, l'assassin présumé du pasteur Martin Luther King, assassiné le 4 avril 1968, à Memphis (Tennessee), est jugé de façon expéditive sur les lieux mêmes du crime. En quelques heures, à la suite d'un marchandage fréquent entre l'accusation et la défense, Ray est condamné à 99 années de prison, le 11 mars 1969 : le ministère public s'est engagé à ne pas demander la peine de mort contre lui s'il reconnaît sa culpabilité et renonce à toute procédure d'appel. Très vite, cependant, James Earl Ray entreprend une série de démarches pour faire réviser son procès. Il affirme qu'il a été trompé par ses avocats et que s'il a bien pris part à l'assassinat du leader non violent, il n'était qu'un des rouages d'un vaste complot. Plusieurs indices viennent renforcer cette thèse : la fuite de Ray de Memphis ; son passage au Canada, puis en Grande-Bretagne et au Portugal, avant son retour à Londres, où il est finalement arrêté ; ses mystérieuses pérégrinations à travers les États-Unis et au Canada avant le meurtre ; son passé, enfin, celui d'un très médiocre gangster incapable de monter seul une telle opération.

La confiance dans le dollar

Sur le plan économique, la principale préoccupation de Richard Nixon reste de juguler l'inflation. C'est dans ce dessein qu'il demande au Congrès, au début de l'année 1969, de proroger jusqu'au 1er janvier 1970 la surtaxe de 10 % péniblement imposée par Lyndon Johnson pour financer l'effort de guerre au Viêt-nam, puis de la maintenir à un taux moindre (5 %) jusqu'au 1er juillet 1970. Cette demande est mal accueillie par les parlementaires, qui se souviennent des promesses contraires faites par Nixon durant sa campagne.