Cette progression, qu'avait laissé prévoir, au début de 1966, l'intérêt que l'Académie des sciences morales et politiques avait manifesté sur le sujet, en invitant le docteur M. A. Lagroua-Weill-Hallé, présidente du Mouvement français pour le planning familial, s'est effectuée à une cadence surprenante, en plusieurs étapes importantes.

Le Conseil de l'Ordre

En tête s'inscrit la conférence prononcée, en juin 1966, aux journées médicales de Marseille, par le professeur Robert de Vernejoul, président du Conseil national de l'Ordre des médecins. Par rapport à la position antérieure de cet organisme, les conclusions exprimées alors par le professeur de Vernejoul constituent une attitude nettement plus libérale.

Le professeur Robert de Vernejoul, en effet, considère que la loi de 1920 doit être modifiée pour permettre une information légitime dans le cadre de la formation prénuptiale et conjugale, et la mise à la disposition du public des différents contraceptifs mécaniques ou médicamenteux, les uns et les autres ne devant faire l'objet d'aucune publicité commerciale directe ou indirecte.

Toutefois, l'intervention du corps médical dans la prescription des contraceptifs ne lui paraît justifiable que dans la mesure où il existe une contre-indication médicale à la grossesse, les médecins ne pouvant être transformés en régulateurs de la contraception. Apparemment, dans cet esprit, mais surtout pour couper court à certaines infractions envers la déontologie médicale et pour éviter l'exploitation commerciale des femmes aspirant à la contraception, le professeur de Vernejoul condamne les 85 centres du Planning familial existant en France.

Il souhaite leur disparition et leur remplacement — comme cela s'est fait aux États-Unis — par des consultations spécialisées, confiées aux cliniques universitaires de gynécologie dans les grands centres hospitaliers. Aux médecins, il recommande en bref de conseiller, selon leur conscience, les familles, attitude conforme à la mission médicale.

Stopper les infractions

En octobre 1966, à Montpellier, au 31e Congrès international de médecine légale et de médecine sociale, le professeur P. Michaux, de la faculté de médecine de Rennes, déclare que la « liberté et la loyauté sont préférables à la répression et à l'hypocrisie », et il estime que les médecins doivent être totalement libres d'apporter à tous ceux qui leur en font la demande une information complète et franche sur les techniques contraceptives. Au couple est laissée la responsabilité de choisir entre ces techniques, en fonction de ses convictions philosophiques ou religieuses, le médecin restant libre de prescrire ou de ne pas prescrire l'appareil ou le produit choisi. En cas de prescription, la surveillance régulière des patientes devrait être assurée.

Cette déclaration est faite après que Lucien Neuwirth eut déposé à l'Assemblée sa proposition de loi tendant à modifier la loi de 1920.

La loi de 1920

La loi communément appelée « loi de 1920 » est — si l'on peut dire — une « loi d'avant 1920 ». En effet, le projet qui est à son origine date de 1910, le 17 mars de cette année-là, pour réagir contre la propagande néo-malthusienne animée dans la revue Régénération par un ami de Karl Marx, Paul Robin. Le ministre de la Justice dépose un projet de loi ayant pour objet la répression de la provocation à l'avortement. Les premiers articles en sont adoptés en mars 1914. La guerre interrompt les débats. La Chambre des députés adopte la loi le 29 juillet 1920, après une discussion passionnée. Les arguments anti-allemands ont beaucoup de succès. Ignace (groupe des Républicains de gauche) est très applaudi au centre et à droite lorsqu'il déclare : « Cette propagande dangereuse pour le pays a une origine qui n'est pas française. » Les socialistes essaient en vain de faire distinguer avortement et contraception, et surtout de montrer quelles seront les conséquences de cette loi si elle est rigoureusement appliquée. Ce sera la possibilité de traduire en police correctionnelle « une brochure, un journal, une confidence qui donnera à une femme le conseil pour avoir beaucoup d'enfants, si elle en veut beaucoup, ou pour restreindre sa maternité, si elle a envie de la restreindre ». Cela peut signifier la possibilité de faire retirer de la vente tous les livres édités et vendus jusqu'à la date d'entrée en vigueur de la loi. Et cela amène le professeur Pinard (radical-socialiste) à adresser cette boutade au garde des Sceaux : « Qu'allez-vous faire des lettres de Mme de Sévigné ? »