Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
O

orchestre (suite)

Certains arrangeurs ont eu autant d’importance que les chefs d’orchestres, rôle qu’ils tiennent aussi de temps en temps. Parmi eux citons Don Redman (pour Fletcher Henderson, les McKinney’s Cotton Pickers et son orchestre), Benny Carter (pour Fletcher Henderson, Count Basie et son orchestre), Fletcher Henderson (pour son orchestre et Benny Goodman), Sy Oliver (pour Jimmie Lunceford), Edgar Sampson (pour Chick Webb), Billy Strayhorn (pour Duke Ellington), Pete Rugolo (pour Stan Kenton), John Lewis et Gil Fuller (pour Dizzy Gillespie), Neal Hefti (pour Count Basie), Ralph Burns (pour Woody Herman).


De Jim Europe à Ellington

Il existait aux États-Unis au début du siècle de grands orchestres semi-symphoniques composés de musiciens noirs et au répertoire littéralement de « variétés » (accompagnement de chanteurs, de danseurs, d’acrobates et de sketches comiques). Ceux de Jim Europe et de Will Marion Cook furent les premiers ambassadeurs de la musique négro-américaine en Europe aussitôt après la Première Guerre mondiale. Après 1920, les enregistrements indiquent une tendance où le jazz « dixieland » impose la suprématie des instruments à vent (eux-mêmes empruntés aux fanfares de La Nouvelle-Orléans).

L’organisation des sections instrumentales se précise, incertaine encore chez Fate Marable, Clarence Williams, Erskine Tate, Wilber Sweatman et Charles Elgar, très nette chez Fletcher Henderson à partir de 1923. Ce type d’orchestre, qui, à ses débuts, cherchait à rivaliser avec la formation de jazz dit « symphonique » dirigée par Paul Whiteman (orchestre blanc dont le chef avait été abusivement et publicitairement surnommé le « Roi du jazz »), définit son style vers 1924, d’abord en reproduisant et en élargissant les schémas utilisés par les petits groupes dixieland, puis en développant ses possibilités au travail par sections. À peu près à la même époque, les McKinney’s Cotton Pickers (où Don Redman joue un rôle essentiel) et Charlie Johnson suivent la même voie, tandis que, par un effet de retour, des groupes blancs, tels ceux de Whiteman, de Jean Goldkette et de Glen Gray, et le Casa Loma Orchestra, s’inspirent des recherches de ces orchestres noirs.

De 1923 à 1927, Duke Ellington*, parti de Washington vers New York, augmente régulièrement le nombre de ses musiciens pour triompher en 1927 au Cotton Club de Harlem. Le progrès, par rapport aux travaux de Fletcher Henderson et de Don Redman, se situe au niveau de la trituration des timbres et des sonorités. Ellington sera aussi un remarquable révélateur de talents, construisant toujours ses orchestrations dans le sens d’une valorisation des solistes. Il sera le premier à concevoir des sortes de concertos où l’ensemble du groupe est au service d’un musicien.


L’âge d’or : la folie du swing

Après la crise économique de 1929, le jazz se transforme. Le folklore louisianais cède la place à des thèmes empruntés à la chansonnette urbaine. L’improvisation connaît une période de « classicisme », où les musiciens recherchent la virtuosité, l’élégance dans le phrasé et une exaltation policée du « swing ». Le public ne se contente plus des exercices de style des solistes des petites formations. Il est attiré par le son de masse des grands orchestres, qui se présentent alors avec une structure assez fixe : de trois à cinq trompettes, deux ou trois trombones, cinq ou six saxophones et une section rythmique. Cette formule enthousiasmera le jeune public blanc lorsqu’elle sera illustrée par le clarinettiste Benny Goodman*, qui utilisera d’ailleurs Fletcher Henderson comme arrangeur et sera désigné à partir de 1934 comme le « Roi du swing ». Goodman sera imité, avec plus ou moins de succès, par Jimmy et Tommy Dorsey, Red Norvo, Charlie Barnet, Bunny Berigan, Jack Teagarden, Bob Crosby, Larry Clinton, Artie Shaw, Gene Krupa, Les Brown, Harry James et Glenn Miller. C’est la vogue du « swing » (swing craze), la danse étant un attrait supplémentaire, favorisée par des arrangements simples, une assise rythmique aux quatre temps égaux, des solos variés, mais courts. Une grande part du succès des grands orchestres de l’époque réside dans l’interprétation de mélodies populaires, la réputation des chanteurs attachés à ces groupes constituant un facteur important dans leur réussite.

Du côté des Noirs, l’activité est tout aussi intense. Tandis qu’Ellington explore un univers d’une richesse jusqu’alors insoupçonnée, Count Basie regroupe en 1935 quelques musiciens de l’orchestre de Bennie Moten (qui vient de mourir à Kansas City) et met au point un style orchestral à l’image de celui qu’il pratique au piano : simplicité des thèmes, dont beaucoup sont des blues, carrure massive du jeu des sections, exploitation du phrasé de masse, recherche du meilleur point d’équilibre du swing grâce à une section rythmique précise et souple.

Jimmie Lunceford est un autre grand du jazz orchestral noir, actif de 1934 à 1941. Son équipe est techniquement la meilleure ; il dispose d’excellents arrangements, raffinés et complexes, et découvrira un tempo très balancé, qui, pendant quelque temps, le situera au premier rang. D’autres orchestres noirs seront célèbres au cours des années 30 et 40. Ils s’organiseront autour d’un « animateur », chanteur ou soliste, parfois arrangeur. Parmi eux, ceux d’Earl Hines, de Don Redman, de Benny Carter, de Chick Webb (qui, au Savoy de Harlem, révélera la chanteuse Ella Fitzgerald), d’Andy Kirk (avec au piano Mary Lou Williams, qui écrit des arrangements), de Teddy Hill, de Harlan Leonard, de Willie Bryant, de Lucky Millinder, de Claude Hopkins, de Jay McShann, de Luis Russell (qui accompagne Louis Armstrong*), de Cab Calloway, d’Erskine Hawkins, de Cootie Williams. Ces groupes, qui exploitent les mêmes procédés, se singularisent par la présence de solistes exceptionnels et l’emploi d’arrangeurs dont la « patte » permet de personnaliser le « son » d’ensemble. Ils sont souvent plus originaux, plus vivants que les formations blanches de la même époque. Moins soumis au commercialisme de la chanson, utilisant davantage les thèmes de blues, ils sont aussi plus à l’aise dans l’expression rythmique. En fait, s’adressant directement à des audiences de couleur, ils sont restés plus directement concernés par des forces d’une plus grande authenticité jazziste.