Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
O

oratorio (suite)

Peu après, G. F. Händel* compose à Londres la majeure partie de ses oratorios. Les seize qui s’inspirent de la Bible sont conçus selon de vastes proportions et animés d’un extraordinaire souffle religieux. De nombreux chœurs harmoniques, fugués ou descriptifs se mêlent intimement à l’action dans Israël en Égypte (1739), grandiose « tragédie chorale », dans le Messie (1742) ou dans Judas Macchabée (1747). Händel donne d’autre part à l’oratorio profane ses lettres de noblesse ; des cantates comme la Fête d’Alexandre (1736) ou L’Allegro, il Pensieroso ed il Moderato (1740) sont en fait de vrais drames musicaux. Vers la même époque, Keiser* (1674-1739), Telemann* (1681-1767), auteur de quarante-quatre Passions et de trente-trois oratorios, Karl Heinrich Graun (1704-1759) et Johann Adolf Hasse (1669-1783) cherchent une voie moyenne entre le style moderne italien et le contrepoint allemand. Dans ses vingt Passions et ses deux oratorios, Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788) fait la transition entre le style sévère de ses aînés et celui, plus léger, de l’école classique viennoise. W. A. Mozart a laissé quelques partitions spirituelles pouvant se rattacher à l’oratorio, notamment Davidde penitente (1785). Quant à J. Haydn*, il n’aborde le genre qu’à la fin de sa vie et lui imprime une direction nouvelle, mi-religieuse (la Création, 1798), mi-descriptive (les Saisons, 1801).

En France, les premiers essais de « dialogues spirituels » de H. Du* Mont (1610-1684) et les « histoires sacrées » de M. A. Charpentier subissent la concurrence du grand motet versaillais et ne réussissent pas à s’imposer. C’est seulement après 1750 que Mondonville* (1711-1772) présente un premier oratorio biblique, les Israélites à la montagne d’Horeb (1758), puis les Fureurs de Saül (1759). Le genre connaît alors suffisamment de succès pour tenter F. J. Gossec* (1734-1829), l’Allemand Johann Christoph Vogel (1756-1788), fixé à Paris, et J. F. Le Sueur* (1760-1837), le maître de Berlioz.

Au xixe s., après Beethoven*, auteur d’un seul oratorio (le Christ au mont des Oliviers, 1803), le romantisme, mouvement de tendance catholique, inspire des musiciens de toutes les confessions. L’oratorio, victime de la confusion des genres, prend alors en Europe de multiples aspects en puisant ses sujets non seulement dans les textes bibliques, mais aussi dans l’histoire universelle et la légende, mêlant parfois le sacré et le profane. Enfin, les dernières acquisitions de l’orchestre symphonique classique lui permettent d’accroître sa puissance d’évocation et de rayonnement. Alors que Johann Christian Friedrich Schneider (1786-1853) [le Jugement dernier, 1819 ; le Déluge, 1823] et Louis Spohr (1784-1859) [les Fins dernières, 1826] renforcent le pouvoir dramatique de l’oratorio, F. Schubert risque un timide essai (le Chant de Myriam, 1828), Johann Carl Gottfried Loewe (1796-1869) recourt à la légende et à l’histoire (Destruction de Jérusalem, 1829 ; Gutenberg, 1837) et F. Mendelssohn* donne ses deux chefs-d’œuvre (Paulus, 1836 ; Elias, 1846), où il se révèle, en y introduisant chorals, canons et fugues, disciple de J.-S. Bach et de Händel. De son côté, R. Schumann* commente ses rêves fiévreux, angoissés ou mystiques dans le Paradis et la Péri (1843), les Scènes du Faust de Goethe (1844-1853), Manfred (1849), le Pèlerinage de la Rose (1851), féerie élégiaque, pastorale et religieuse, et le Requiem pour Mignon (1849), qui sera transporté à la scène par Liszt. Mais ces œuvres participent de plusieurs formes à la fois. Il en est de même avec Berlioz* : Roméo et Juliette (1839) est une symphonie-cantate, la Damnation de Faust (1846) un oratorio-opéra. Seule l’Enfance du Christ (1854) annonce la renaissance de l’oratorio français moderne. Un récitant relie les divers épisodes et commente les événements. F. Liszt*, catholique sincère, semble obéir à un appel intérieur dans la Légende de sainte Élisabeth (1857-1862) et Christus (1855-1867). Il donne à l’orchestre un rôle exceptionnel, mais supprime le récitant. Si l’oratorio conserve encore parfois son caractère de dévotion et d’édification, c’est en raison de l’influence posthume de Händel et de Mendelssohn, qui s’exerce surtout à Londres avec l’Italien Michele Costa (1808-1884) et l’Anglais sir Arthur Seymour Sullivan (1842-1900). Dans l’ensemble, les compositeurs d’oratorios se tournent vers le profane ou se rapprochent du style symphonique inauguré par Liszt. À la tendance romantique Berlioz-Liszt obéissent les Français Gounod* (Tobie, 1866 ; Mors et Vita, 1885) et Franck* (Ruth, 1846 ; Rédemption, 1871 ; les Béatitudes, 1879). Saint-Saëns (le Déluge, 1876 ; la Lyre et la harpe, 1879), bien que d’esprit classique, s’inscrit aussi dans ce courant. Tandis que Vincent d’Indy* (le Chant de la cloche, composé de 1879 à 1883 ; la Légende de saint Christophe, composée de 1908 à 1915, drame sacré créé en 1920) se tourne vers la légende, Massenet*, si l’on excepte Marie-Magdeleine (1873), infuse au genre le sensualisme de ses opéras. L’Allemand Brahms*, protestant, ne s’appuie ni sur la liturgie ni sur le chant grégorien dans Ein deutsches Requiem (1869) et se rapproche de Schumann dans Rinaldo (1869) et Schicksalslied (Chant du destin, 1871).

Dans le dernier tiers du xixe s., l’oratorio protéiforme connaît une grande vogue. Il serait vain d’énumérer toutes les œuvres qui illustrent ce genre. Citons la Tour de Babel du Russe Anton Rubinstein (1829-1894), Devant la porte du cloître (1871) du Norvégien E. Grieg*, The Resurrection (1875) de l’Irlandais Charles Villiers Stanford (1852-1924), la Rose de Sharon (1884) de l’Écossais Alexander Campbell Mackenzie (1847-1935), Sainte Ludmilla (1886) du Tchèque Dvořák*, Franciscus (1888) du Belge Edgar Tinel (1854-1912), Amarus (1897) du Tchèque Janáček* et Das dunkle Reich (l’Empire obscur, 1929), dernier oratorio inspiré du romantisme allemand, de Hans Pfitzner (1869-1949). En Italie, le genre reprend vigueur avec Lorenzo Perosi (1872-1956), maître de la chapelle Sixtine, auteur d’oratorios sur textes latins tirés des Écritures.