Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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œcuménisme (suite)

Dans l’Église romaine, l’œcuménisme a eu, lui aussi, ses pionniers, tels l’abbé Portai au xixe s., le cardinal Mercier et l’abbé Paul Couturier au xxe. Des assouplissements se sont manifestés, ainsi qu’une ouverture plus grande à l’existence et à la spiritualité des « frères séparés ». Dès la création du Conseil œcuménique, nombreux ont été les théologiens catholiques qui ont suivi ses travaux et qui ont exprimé leurs réactions dans des revues spécialisées, comme Irénikon (publiée par les bénédictins de Chevetogne), Vers l’unité chrétienne (publiée par les dominicains de Paris), Unitas (publiée par les jésuites de Rome). La semaine de prière pour l’unité des chrétiens (18-25 janvier) a été inaugurée par l’abbé Paul Couturier, persuadé que « l’unité se ferait quand le Christ le voudrait et par les moyens qu’il voudrait ». D’immenses auditoires, des assemblées ferventes ont été rassemblés dans son cadre, et un climat nouveau est né, petit à petit. Toutefois, ce qui a véritablement donné au mouvement œcuménique sa force et sa consécration, c’est la convocation, en 1959, par le pape Jean XXIII, du deuxième concile du Vatican* avec la participation de 60 observateurs officiellement désignés par leurs Églises ou alliances d’Églises non romaines et activement associés aux travaux de l’assemblée. Au cours du concile, les anathèmes de 1054 ont été levés par les Églises d’Occident et d’Orient ; le décret sur l’œcuménisme et la déclaration sur la liberté religieuse ont largement contribué à détendre les relations entre l’Église de Rome et l’ensemble des communautés non catholiques : petit à petit, on a rompu avec le discours et aussi avec la perspective du « grand retour » des « frères séparés » dans le sein de l’Église catholique sous l’autorité du successeur de Pierre ; on s’est engagé dans une aventure dont on ne sait pas quelle sera la fin, mais à laquelle tous sont invités à participer en mettant en commun, en partageant et en écoutant dans la ligne même de la tradition particulière qui est la leur. Un Secrétariat pour l’unité des chrétiens, dirigé successivement par les cardinaux Bea et Willebrands, a été chargé de favoriser les contacts, de développer les échanges, d’organiser le travail commun avec les Églises non catholiques romaines. Un groupe mixte de travail a été créé entre le Conseil œcuménique et le Vatican dans le dessein de pouvoir examiner les possibilités offertes par la situation actuelle et d’approfondir le dialogue au double plan théologique et spirituel. Cette collaboration, impensable encore au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, s’est étendue et intensifiée dans tous les domaines, un peu partout dans le monde, en face des grandes questions posées par l’avenir de l’homme ; c’est ensemble que les chrétiens essaient de rendre compte d’une espérance commune, qui est aussi liée à la libération des opprimés et à la conjuration des grands périls que connaît l’humanité.

Le renouveau biblique qui a marqué toutes les Églises depuis le milieu du xixe s. n’est pas étranger à l’essor du mouvement œcuménique. Déjà en 1676, l’oratorien Richard Simon* et, en 1866, la Société nationale pour la publication des livres saints en langue française avaient affirmé qu’aucun rapprochement entre les chrétiens ne saurait être authentique tant qu’ils resteraient étrangers à une commune redécouverte du message évangélique originel. Actuellement, c’est la conviction de milliers d’exégètes, de millions de fidèles de diverses confessions, qui soit collaborent à la traduction, à la publication et à la diffusion œcuménique de nouvelles versions de la Bible, soit se rencontrent pour actualiser son contenu dans les situations originales auxquelles ils sont confrontés.


Pesanteurs et audaces

Il est évident que, comme toute entreprise humaine, le mouvement œcuménique rencontre ses menaces les plus redoutables au cœur même de ses succès les plus spectaculaires. Dans la mesure où le rêve des pionniers aboutissait à des créations institutionnelles au sein du catholicisme et dans les Églises orthodoxes et protestantes, quelque chose de la mobilité, des audaces et de la générosité des origines disparaissait. On peut penser que l’on en est aujourd’hui à la période ingrate des prudences diplomatiques, des rapports institutionnels, des lenteurs hiérarchiques, qui, sans cesse, menacent d’étouffer l’avancée du dialogue, du témoignage, du service, de l’engagement, de l’invention.

Il n’est pas douteux que, un peu partout, c’est le reproche que l’on adresse à l’œcuménisme officiel et que bien des lassitudes, bien des analyses implacables viennent reprocher aux tenants de l’œcuménisme leur peu d’audace, pour ne pas dire leur volonté de ne se réunir que pour mieux se défendre, au lieu d’oser aller de l’avant dans le seul souci de la communication de l’évangile aux hommes. Aussi n’est-il pas étonnant que, bien souvent, en marge même des grands courants hiérarchiques et institutionnalisés, un « œcuménisme sauvage » se soit développé, qui ait avant tout le souci de prendre des risques au nom de l’évangile et de ne pas reculer devant les dimensions socio-politiques de celui-ci. Indifférent à l’égard de la conservation de formes d’Églises, qu’il estime compromises avec les ordres d’oppression et d’exploitation, ce courant vise à aller au-delà de toutes les limites et règles fixées, vers une « Église de demain » qui retrouverait le sens et l’inconditionnelle fidélité au message du Christ dans un dépouillement réel au service des pauvres de la terre. L’« œcuménisme séculier » lui apparaît comme préférable à l’œcuménisme institutionnel ou encore l’« orthopraxie » (façon correcte d’agir) à l’« orthodoxie » (façon correcte de penser et de croire) : pour l’œcuménisme sauvage ce sont les actes d’unité qui entraîneront un jour les structures et les Églises, et c’est la participation à une lutte en faveur de la transformation sociale et de la destruction de toutes les formes d’oppression qui est le cadre dans lequel, au milieu de non-chrétiens, peuvent se développer un dialogue œcuménique valable et une nouvelle compréhension de l’évangile. Le cléricalisme est largement remis en question. L’intercommunion est la règle de vie de certains groupes œcuméniques qui se situent délibérément en marge des règles et des courants officiels.

G. C.

➙ Christianisme / Église catholique ou romaine / Églises orientales / Églises protestantes / Protestantisme / Réforme / Schisme d’Orient.