Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

nuisance (suite)

Les nuisances : des coûts en aval

Dans une très large mesure, cette détérioration de l’environnement provient de l’absence de comptabilisation du coût d’utilisation de la ressource (air, eau) servant de milieu récepteur des déchets. Plus exactement, on a tendance à regarder les résidus des processus de consommation* et de production* comme constituant un élément inévitable de ces derniers. On oublie que, toute action entraînant certains résultats négatifs (qui ne sont pas nécessairement voulus), il faut faire entrer ceux-ci en comptabilité* d’une façon ou d’une autre. À côté de coûts volontairement assumés et prévisibles (appelés parfois coûts en amont), correspondant aux diverses ressources requises pour atteindre un objectif donné de production, il y a précisément des coûts indirects et souvent imprévus appelés coûts en aval. Dans la mise en œuvre d’un processus de production, les coûts en amont désigneraient le « prix de revient » et les coûts en aval les « nuisances » : par exemple, c’est la firme constructrice qui supporte le coût des réalisations d’un avion supersonique, mais ce sont les riverains des aéroports et même tous les habitants qui supportent les nuisances liées au bruit.

Pendant longtemps, ces coûts en aval sont passés inaperçus, car les dommages qu’ils pouvaient engendrer étaient supportables. Aussi, cette façon de voir a-t-elle suscité non seulement l’incurie collective, mais surtout la croyance que le problème des déchets ne devait donner lieu à aucun traitement industriel. Cette conception était admissible tant que le volume des déchets était très réduit. Elle ne l’est plus dès le moment où, avec la croissance* économique, leur masse s’est accrue dans des proportions considérables. Les dommages causés par les rejets d’effluents dans l’environnement cessent d’être insignifiants. En même temps, l’aptitude du milieu à diluer et à dégrader chimiquement les déchets diminue. Du fait de l’action complexe des processus biologiques ou physico-chimiques, des catégories de consommateurs ou de producteurs, amenées à utiliser des ressources détériorées, se trouvent handicapées et se voient imposer des coûts supplémentaires.

Il est difficile de parler avec précision de « coûts » en la matière, étant donné qu’ils sont rarement comptabilisés par les producteurs ou les consommateurs. L’analyse économique préfère parler d’effets externes ou d’externalités. En effet, dans le cas d’une usine qui déverse ses eaux usées dans une rivière, on peut dire en première approximation qu’elle consomme les services de la rivière, qui lui procure une utilité en prenant à sa charge l’évacuation des déchets. En réalité, la rivière se trouvant polluée en aval, une série de désagréments va s’ensuivre pour les utilisateurs des services de celle-ci, d’où un flux de désutilités qui se diffuse et s’amplifie, venant compenser ou surcompenser, au niveau global, l’avantage acquis par l’usine. Il est malaisé de parler de coûts externes, car la notion de « coût » suppose l’engagement et la liquidation d’une dépense : or, précisément, on se trouve en présence de flux négatifs contre lesquels aucune dépense n’est engagée. Aussi, l’analyse économique préfère dire que le flux négatif provoque une déséconomie externe, non chiffrée.

L’existence d’effets externes fait naître ce que l’on a pu appeler une divergence entre le coût privé et le coût social, la société étant amenée à supporter les conséquences (le poids d’une souffrance) suscitées par des agents privés (qui ne subissent, eux, qu’une partie du coût). Il en résulte que la réalisation effective du bien-être maximal ne peut pas être obtenue parce que l’on n’a pas pu comptabiliser les effets externes et les intégrer dans le calcul économique.


« Internaliser » les nuisances

En d’autres termes, tout calcul économique qui néglige les phénomènes d’effets externes se trouve faussé. Toute politique économique qui ignore les « externalités » est une politique approximative qui ne peut prétendre à une maximation véritable du bien-être individuel et collectif. En conséquence, pour atteindre le maximum de bien-être, il faut prendre en compte les effets externes dans le calcul économique, c’est-à-dire, comme le proposa pour la première fois Pigou*, de les internaliser. Pour cet auteur, l’internalisation consistait en la mise en œuvre d’un système de subventions-impôts : les industries créatrices d’effets externes positifs seraient subventionnées et les entreprises émettrices d’effets externes négatifs seraient imposées. Une telle solution implique l’action d’une autorité centrale, une évaluation correcte du montant des impôts et subventions, une détermination précise des agents sources ou victimes d’effets externes négatifs. Tâches délicates en réalité, car, s’il est aisé de connaître les émetteurs et les victimes d’effets négatifs, il est beaucoup plus difficile de discerner les bénéficiaires d’un effet positif. Les théories les plus récentes ont estimé que, si l’intervention d’une autorité centrale reste souvent nécessaire, il n’en demeure pas moins que la lutte contre la pollution, pour être efficace et aussi pour qu’elle ne heurte pas trop l’équité, doit combiner des procédures très variées.

Par exemple, dans certains cas où la pollution met en cause deux unités économiques de puissance sensiblement égale (comme une raffinerie de pétrole corrodant les carrosseries d’une usine automobile), c’est une stratégie de négociations et d’accords qui est préconisée. Si un agent subit un désavantage externe, il passera un accord avec celui qui le provoque pour que cesse cet effet. Cette procédure n’est évidemment applicable que dans la mesure où les deux unités veulent bien se rencontrer pour négocier. Si une partie refuse la négociation, la seule solution possible consiste en la mise en place d’un rouage administratif destiné à diriger la procédure. Si l’une des parties est partiellement constituée par un grand nombre d’agents économiques, il faudra organiser une représentation des parties, procédure complexe et coûteuse ; au demeurant, il sera difficile d’évaluer les dommages répartis entre les agents.