Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Nouvel Empire (suite)

C’est de Thèbes que va venir la libération : un monarque énergique de la fin de la XVIIe dynastie, Kamosis (ou Kames), essaie de secouer le joug étranger. Un texte retrouvé sur une stèle à Karnak révèle l’expression première d’un patriotisme égyptien exaspéré : « Avaris, je la laisserai dévastée, sans habitants, après avoir incendié leurs maisons, qui deviendront des buttes de décombres pour l’éternité, à cause du dommage qu’ils ont causé au pays d’Égypte [...]. » Kamosis entre en campagne, remonte jusqu’au nord d’Hermopolis, reconquiert pratiquement la Moyenne-Égypte, envoie une expédition punitive jusqu’à l’oasis de Bahriya, à l’ouest, et revient à Thèbes en triomphateur. Il a préparé les voies pour son fils et successeur, Ahmosis, qui, vers 1580 av. J.-C., libère le pays entier, s’empare d’Avaris et poursuit les Hyksos au-delà de la frontière.

Ahmosis met fin à cette seconde période intermédiaire de l’histoire d’Égypte et instaure la XVIIIe dynastie — la première du Nouvel Empire —, dont la capitale est Thèbes. En moins de cinquante ans, l’Égypte va redevenir la première puissance du monde oriental.

En 1580 av. J.-C., à la suite de ces mouvements divers de populations, la situation politique et économique du Proche-Orient et de l’Asie antérieure est bouleversée.

Sur le Tigre, le vieux royaume assyrien demeure, mais la cour d’Assour ne joue encore qu’un rôle secondaire. Sur l’Euphrate, Babylone reprend pacifiquement son rôle de métropole économique. Mais, naissent alors deux nouveaux États dangereux : le Hatti, dont la capitale, Hattousa, a été retrouvée près de l’actuelle ville de Boğazköy (à 120 km au sud-est d’Ankara), livrant d’inappréciables documents pour l’histoire (v. Hittites) et le Mitanni*, au nord de la Mésopotamie. De Washouganni (ou Wassouganni), leur capitale (encore perdue dans les sables), les rois du Mitanni ont étendu leur pouvoir de fait sur l’Assyrie, sur les régions à l’est du Tigre et, au nord, sur le pays qui sera l’Arménie ; à l’ouest, ils essaient de développer leur influence sur la Syrie (jusqu’alors sous obédience égyptienne).

Le « couloir syro-palestinien » est morcelé en un certain nombre de petits États, dont la division favorisera les rivalités d’influences. Le pays le plus précieux est la Phénicie* (pays de Djahi), qui s’étend de la pointe du mont Carmel à Ougarit (Ras Shamra), mince plaine côtière de 25 km de profondeur, adossée à l’Anti-Liban, avec son magnifique front de mer et ses ports prestigieux : Byblos, Tyr, Sidon — autant de riches cités-États pourvues de gouvernements autonomes. Le royaume d’Amourrou constitue sa limite septentrionale. L’arrière-pays est le Retenou ; le Retenou supérieur correspond à peu près à l’actuelle Syrie. Au sud, la région qui s’étend entre El-Kantara et Gaza, d’une part, la mer et le Jourdain, d’autre part, peut être le pays de Canaan, avec ses ports secondaires de Gaza, d’Ascalon et de Jaffa. Le fait majeur, qui apparaît avec évidence sur cette nouvelle « carte », est l’importance de la Syrie et de la Phénicie, débouchés vitaux du Proche-Orient : Assyrie et Babylone à l’est, Hatti et Mitanni au nord, Égypte au sud ; c’est pourquoi la préoccupation essentielle de ces États sera d’abord la domination du Retenou et la mainmise sur les ports phéniciens. Cela entraînera, secondairement, toute une série d’intrigues et d’alliances (toujours remises en question) avec les petits États, sans grande puissance, mais stratégiquement bien placés : l’Amourrou, qui couvre la Phénicie, au nord ; l’Arzawa et le Kizzwatna (ou Kizzouwatna), qui séparent le Hatti de la mer ; le Naharina et le Nouhassé, qui empêchent les débouchés maritimes directs du Mitanni. L’Assyrie et Babylone demeurant alors pacifiques, les principaux acteurs — militairement préparés — de ces conflits et jeux d’intrigues seront, dans un premier temps, l’Égypte, le Mitanni et le Hatti, meneurs de la politique internationale sous la XVIIIe dynastie. Dans un second temps (à partir de la XIXe dynastie), le monde égéen participera au concert, cependant que, menaçante, s’élèvera la puissance assyrienne. L’Égypte est contrainte de sortir hors de ses frontières et d’orienter sa politique vers la Méditerranée.


Conquête et organisation d’un Empire

En 1580 av. J.-C., Ahmosis, remontant victorieusement de Thèbes, s’empare d’Avaris, poursuit les Hyksos jusqu’à Sharouhen (place forte de Palestine méridionale), qu’il conquiert après un siège de trois ans. Achevant la conquête militaire, il descend en Nubie, où, en trois campagnes, il rétablit la suzeraineté égyptienne jusqu’à Toskeh (30 km en aval d’Abou-Simbel). Chef d’armée énergique, il se révèle aussi administrateur avisé ; il place les territoires nubiens sous l’autorité d’un vice-roi, « fils royal, chef des pays du Sud », émanation directe du souverain de Thèbes, (son fils d’abord et, par la suite un grand personnage de son entourage immédiat) ; c’est un haut-commissaire permanent résidant dans le pays même. Ahmosis ordonne et réorganise son royaume, restaure les temples, crée des sanctuaires dans la capitale. Il rend aussi à l’Égypte sa prospérité économique, en renouant des relations « protectrices » avec les ports phéniciens. Il se proclame également le « souverain des Haou-nebout » (habitants de la mer Égée), les marchands des îles lui ayant spontanément apporté tribut pour pouvoir commercer librement avec les villes du Delta. En Crète, l’étalon de valeur égyptien, le deben d’argent de 90 g, supplante alors les poids et mesures babyloniens.

Les successeurs directs d’Ahmosis (qui meurt vers 1558 av. J.-C.) poursuivent méthodiquement son œuvre. Des campagnes militaires affirment la conquête de la Nubie : Aménophis Ier atteint Tombos (en aval de la troisième cataracte), avance extrême qu’assurera Thoutmosis II dès la première année de son règne (1520) en matant une révolte locale. (Le fils d’un chef nubien est, pour la première fois, amené à la cour de Thèbes, pour y recevoir une éducation égyptienne, procédé qui va se généraliser et sera aussi, plus tard, un fait romain.) Des expéditions armées maintiennent également la mainmise sur l’Asie : Aménophis Ier atteint l’Euphrate, qui, désormais, sera considéré comme la frontière septentrionale avancée de l’Empire thébain ; Thoutmosis Ier l’assure, au cours de deux campagnes, la protection égyptienne sur le Retenou et le Naharina et dresse la première stèle frontière. De Tombos jusqu’à l’Euphrate, l’empire d’Égypte couvre une aire considérable.