Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

Nouvel Empire (suite)

Mais de graves questions dynastiques vont se poser au cours des années qui vont suivre. Aménophis Ier n’ayant eu que deux filles de son mariage avec sa sœur, Thoutmosis Ier (fils d’une concubine) légitime son accession au trône en épousant l’aînée de celles-ci. Thoutmosis II, dans des conditions identiques, doit épouser la princesse Hatshepsout (l’une des deux filles royales de Thoutmosis Ier). Un problème analogue se présente de nouveau à sa mort (v. 1505) : même solution — le jeune Thoutmosis III* (fils d’une concubine) épouse l’une des filles royales ; mais le prince est encore un enfant, et Hatshepsout (sa tante et belle-mère) est ambitieuse et, sous couvert de régence, elle usurpe le pouvoir pendant vingt-deux ans.

Pour légitimer cette usurpation, elle instaure la première théogamie officielle : elle se proclame fille charnelle du dieu Amon-Rê, qui l’aurait ainsi destinée au trône. Manœuvre dangereuse, car elle donne au clergé thébain un puissant moyen d’action sur la monarchie. Le grand-prêtre Hapouseneb devient un des favoris de la cour et accède même à la charge de vizir, et les clercs d’Amon acquièrent un pouvoir temporel, dont les prédécesseurs de la reine s’étaient toujours justement défiés. En longs bas-reliefs, les scènes de cette théogamie sont représentées sur les parois du temple funéraire de Deir el-Bahari (construit par l’habile Senenmout). Autre danger : la reine Hatshepsout — si elle envoie au pays de Pount une expédition commerciale (célèbre également par d’autres bas-reliefs de Deir el-Bahari) — ne peut mener de campagne militaire. Le roi du Mitanni, désireux alors d’obtenir le contrôle de la Syrie septentrionale (la région située entre Alep et Karkemish est, en effet, au-delà de l’Euphrate, le débouché normal de son pays sur la Méditerranée — de plus, qui la détient peut exercer l’hégémonie sur toute l’Asie antérieure), en profite pour mener secrètement une grande coalition, qui groupe 330 chefs de Palestine et de Syrie, avec à leur tète le prince de Kadesh (ville sur l’Oronte, au sud d’Alep).

Mais, en 1484 av. J.-C., à la mort d’Hatshepsout, Thoutmosis III monte effectivement sur le trône d’Égypte. Grand capitaine, stratège avisé, il dirige en personne dix-sept campagnes en Asie, dont les événements sont rapportés dans les Annales sculptées dans le grand temple d’Amon-Rê, à Karnak. Il dissout d’abord la coalition rebelle, reconquiert le Retenou (prise de Megiddo) et remonte jusqu’à Tyr, puis, pendant trois ans, chaque année, au cours de tournées d’inspection, il manifeste par sa présence la suzeraineté égyptienne et recueille les tributs. Dans une seconde phase, il entend donner à cet Empire la sécurité, en lui rendant la frontière de l’Euphrate et en abattant la dangereuse puissance mitannienne : la mainmise ferme sur la côte, la prise de Kadesh, l’incursion en Mitanni en assurent la réalisation. Au sud, on ne trouve la mention d’une campagne en Nubie qu’en la cinquantième année du règne. Thoutmosis III atteint probablement Napata (quatrième cataracte). Son prestige est alors considérable dans le monde oriental ; les provinces africaines et asiatiques lui paient régulièrement tribut, et les États voisins (Babylone, l’Assyrie, le Hatti, l’Égée, les Cyclades) lui apportent spontanément des cadeaux en hommage. Les richesses affluent à Thèbes pour la prospérité intérieure de l’Égypte et la gloire d’Amon-Rê, divinité des victoires guerrières, dieu d’Empire.

Thoutmosis III est aussi un sagace administrateur. Tout d’abord, il sait réorganiser et rénover son armée, désormais auxiliaire indispensable du pouvoir ; cette armée se développe (service militaire obligatoire, enrôlement de corps de mercenaires dans tous les pays conquis) et se différencie : à côté de l’antique infanterie et des corps d’archers, la charrerie fait son apparition (nouvel instrument tactique des batailles). La marine accroît ses effectifs : navires-combattants, navires-étables, navires-écuries, cargos (de l’Asie au Soudan transportant les produits de l’Empire).

Thoutmosis III est surtout le véritable fondateur d’une organisation rationnelle des terres conquises. Deux zones distinctes apparaissent. La Nubie* africaine, d’une part, est placée sous administration coloniale. Le vice-roi est représenté par un lieutenant dans chacune des deux circonscriptions nouvellement établies : pays de Ouaouat (jusqu’à la deuxième cataracte), pays de Koush (de la deuxième à la quatrième cataracte) ; il dispose de fonctionnaires égyptiens qui administrent sur place le trésor, les troupes, les greniers ; il a tout pouvoir sur les chefs indigènes. Et une politique systématique d’égyptianisation se développe dans ces régions : Bouhen (à la hauteur de la deuxième cataracte) joue le rôle de capitale (comprenant le palais du vice-roi et des temples) ; les cultes égyptiens sont introduits dans le pays : le vice-roi, assisté d’un « directeur des prêtres de tous les dieux », implante des sanctuaires profondément dans le Sud (à Kalabcheh, Sedeinga, Soleb [sous Aménophis III]...). Les provinces d’Asie, d’autre part, sont régies très différemment : en effet, là, le roi d’Égypte a affaire à un ensemble de terres étendues, d’une inappréciable valeur économique (relais de caravanes de l’intérieur des terres, ports aux puissantes flottes marchandes, vastes plaines fertiles) et ayant déjà des traditions autonomes de gouvernement (républiques urbaines ou principautés). Laissant à chaque entité politique son indépendance, Thoutmosis III les « couvre » d’un cadre administratif qui les répartit formellement en une série de districts placés sous les ordres de gouverneurs égyptiens. Cette division ne constitue, en fait, que la structure fiscale des États vassaux et facilite la perception des tributs assignés. Des rapports juridiques de protection s’établissent, placés sous la garantie des dieux (égyptiens et asiatiques), l’alliance des divinités sanctionnant, celle des princes. La permanence des relations est soutenue de diverses manières, notamment par la création d’une poste royale et les visites que, chaque année, le souverain de Thèbes rend à ses précieuses provinces d’Asie.