Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

Néel (Louis)

Physicien français (Lyon 1904).


Issu d’une famille d’origine normande, Louis Néel fait ses études secondaires au lycée du Parc à Lyon, puis au lycée Saint-Louis à Paris. Il entre à l’École normale supérieure en 1924 et est reçu premier à l’agrégation des sciences physiques en 1928. Il va alors travailler à l’Institut de physique de Strasbourg, sous la direction de Pierre Weiss, et devient docteur ès sciences en 1932. Il obtient en 1937 une chaire à la faculté des sciences de cette ville. Mais il en est chassé par la Seconde Guerre mondiale, pendant laquelle il met au point la protection des navires de guerre français contre les mines magnétiques. C’est après l’armistice qu’il va se fixer à Grenoble. Outre la chaire qu’il y occupe depuis 1946 à la faculté des sciences, il crée la même année, dans le cadre du Centre national de la recherche scientifique, le laboratoire d’électrostatique et de physique du métal. Puis, en 1956, il devient directeur du Centre d’études nucléaires, qu’il contribue à fonder et à développer et, en 1958, il assume la direction de l’École nationale supérieure d’électrotechnique, d’hydraulique, de mathématiques appliquées et de génie physique. En 1953, il a été élu membre de l’Académie des sciences.

Spécialiste des questions de magnétisme, domaine de la physique où la France occupe l’une des premières places, Néel a notamment montré l’importance du rôle des champs démagnétisants internes dans l’interprétation de nombreuses propriétés : approche à la saturation de l’aimantation, hystérésis, texture des domaines élémentaires, structure des parois, etc. Mais il a surtout complété la classification des corps, d’après leurs propriétés magnétiques, en diamagnétiques, paramagnétiques et ferromagnétiques, résultant des travaux de P. Curie, P. Langevin et P. Weiss, en prévoyant dès 1932 l’existence d’une quatrième catégorie, celle des antiferromagnétiques, et en décrivant leurs probables propriétés magnétiques. Les premiers représentants de cette catégorie, MnO, NiO, ..., ne furent identifiés que quelques années plus tard par Bizette et Tsaï. En 1969, une équipe du Commissariat à l’énergie atomique, animée par A. Abragam, découvrit l’antiferromagnétisme nucléaire.

En 1947, Néel expliqua théoriquement les propriétés d’une série de corps, dont certains comme la magnétite, ou pierre d’aimant, connus depuis très longtemps, et montra qu’il était nécessaire d’en faire une catégorie distincte, celle des corps ferrimagnétiques. Cette théorie nouvelle suscita un nombre considérable de travaux, ainsi que la découverte de la série des ferrites grenats de terres rares. Les applications de tous ces ferrimagnétiques sont extrêmement importantes, notamment en courants de haute fréquence, car, bien que généralement isolants de l’électricité, ils peuvent s’aimanter, ce qui les distingue du fer.

Ces remarquables découvertes ont valu à Néel le prix Nobel de physique pour 1970, qu’il a partagé avec le Suédois Hannes Alfvén.

C’est surtout grâce à l’impulsion de Néel que Grenoble est devenu un centre de recherches inégalé dans les provinces françaises. Mais les activités du physicien ont vite débordé le cadre des travaux purement scientifiques, et il a pris la tête d’un mouvement de rapprochement entre l’université et l’industrie.

Pierre Weiss

Physicien français (Mulhouse 1865 - Lyon 1940). À la suite des travaux de Langevin* sur le paramagnétisme, il a élaboré une théorie du ferromagnétisme, fait l’hypothèse du magnéton, moment magnétique élémentaire, et découvert le phénomène magnétocalorique. (Acad. des sc., 1926.)

R. T.

négritude

Néologisme formé sur le mot latin nigritudo (Pline), et signifiant « le fait d’être noir, la noirceur ».


En anglais, le mot « nigritude » a le même sens. En français, le terme négritude n’a que quarante ans. Il a signifié tour à tour l’appartenance à la race noire, cette race elle-même en tant que collectivité, la conscience et la revendication de l’homme noir colonisé, la caractéristique d’un style (en art et en littérature), l’« être-dans-le-monde-du-noir » (Sartre) ou la manière dont le Noir se conçoit et conçoit son rapport avec le monde, la spécificité culturelle des Noirs au sud du Sahara, l’« ensemble des valeurs de la civilisation africaine » (Senghor) et enfin la « seule idéologie que l’Afrique noire puisse opposer aux idéologies occidentales » (Senghor). Les principales analyses de la négritude ont été faites par Sartre*, Louis Vincent Thomas, Janheinz Jahn, L. S. Senghor*, Marcien Towa, Stanislas Adotévi, Thomas Melone, Frantz Fanon.


Histoire

Quelle était la situation des peuples noirs à l’époque où l’on commença à parler de négritude ?

C’était vers les années 1930 ; en France et en Amérique, on se relevait à peine de la grande crise économique ; en U. R. S. S., les espoirs soulevés par la révolution de 1917 se ternissaient sous les épurations staliniennes ; en Allemagne, en Italie, en Espagne, on assistait à la montée du fascisme. Les peuples d’Afrique noire étaient sous la domination de l’Europe coloniale. Le sort des Noirs d’Amérique n’était pas plus favorisé ; descendants des esclaves qui avaient fait les frais de la traite (du xvie au xixe s.), ils formaient le prolétariat des États-Unis, où sévissaient toujours le racisme et la ségrégation. D’autres Noirs encore constituaient le prolétariat des Antilles, qui étaient toujours colonies françaises, anglaises, espagnoles, et celui des États d’Amérique latine, à la tête desquels se succédaient les juntes militaires.

Quelques-uns étaient étudiants, artistes, apprentis poètes, en France. C’était un petit groupe de très jeunes Nègres qui prenaient conscience de cette situation des Nègres partout vaincus, humiliés, asservis et que ce fait troublait et scandalisait, qui découvraient cet universel rapport des forces maître blanc / Noir esclave et qui s’en étonnaient, qui s’élevaient contre la prétention de la « civilisation occidentale » à définir les Noirs en termes de négativité :
Ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole
ceux qui n’ont jamais su dompter la vapeur ni l’électricité
ceux qui n’ont exploré ni les mers ni le ciel
mais ils savent en ses moindres recoins le pays de souffrance
ceux qui n’ont connu de voyages que de déracinements
ceux qui se sont assouplis aux agenouillements
ceux qu’on domestiqua et christianisa
ceux qu’on inocula d’abâtardissement
tams-tams de mains vides
tams-tams inanes de plaies sonores
tams-tams burlesques de trahisons tabides
tiède petit matin de chaleurs et de peurs ancestrales
(A. Césaire)

Cette civilisation « supérieure » justifiait l’extermination des cultures « primitives », « prélogiques », et cependant elle échouait à résoudre ses problèmes internes à l’approche de la Seconde Guerre mondiale. Elle était contestée et critiquée par son élite intellectuelle elle-même.

Ce groupuscule donc réfléchissait, s’informait et découvrait le surréalisme, le marxisme, le personnalisme et les premiers travaux sérieux d’ethnologues comme Leo Frobenius, Marcel Griaule, Michel Leiris, Paul Rivet, Marcel Mauss*, Maurice Delafosse.

Il découvrait aussi à Paris le mouvement de la négro-renaissance, œuvre d’un autre groupe qui s’était formé à New York en 1919 et dont les romans et poèmes étaient diffusés en France par la Revue du Monde noir et certaines revues communistes. Pour des motifs bien différents.