Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Monterrey (suite)

Monterrey reçoit les migrants et les matières premières du Nord-Est (Nuevo León, Coahuila, Tamaulipas), mais aussi du San Luis Potosí, du Zacatecas et du Durango. Ses firmes ont des filiales à Puebla, à Guadalajara, au Honduras. La ville conserve une autonomie financière et une classe d’entrepreneurs indépendants par rapport à Mexico. Par son université et son institut technologique renommé, elle forme les cadres et la mentalité de tout le Nord. Elle attire aussi plus de 500 000 touristes par an. Mais les entreprises, américaines ou d’État (Altos Hornos), de la région contrebattent l’influence de Monterrey, qui emprunte de plus en plus aux États-Unis. La croissance des villes frontières, la contrebande, les achats dans les villes du Texas déséquilibrent son secteur commercial. L’arrivée incessante de migrants (un tiers de la population) pèse sur les salaires et peuple les taudis des faubourgs. La ville, qui rappelle les États-Unis par ses grands immeubles d’affaires, ses quartiers résidentiels de villas, est atteinte de gigantisme et s’étire sur 18 km du nord au sud, sur 26 km d’est en ouest, ce qui pose des problèmes d’urbanisme considérables.

J. R.-M.

Montesquieu (Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de)

Écrivain, historien et philosophe français (La Brède, près de Bordeaux, 1689 - Paris 1755).



Tradition et modernité

Né au milieu du Grand Siècle, disparu avant les années décisives de la bataille encyclopédiste, Montesquieu n’a pas vécu les grands combats des lumières. Fier de ses « trois cent cinquante ans de noblesse prouvée », quoique sa baronnie soit récente, il reste jusqu’à sa mort « le Président », bien des années après la vente précoce de sa charge au parlement de Bordeaux. Attaché à sa petite patrie, à ses relations bordelaises, à ses terres qu’il gère en vigneron entreprenant, mais aussi en seigneur soucieux de ses « droits », à ses tours de La Brède, comment serait-il l’homme des ruptures ? Il n’est pas jusqu’à sa culture qui ne revête un caractère traditionnel : plus de la moitié des trois mille ouvrages de sa bibliothèque sont en latin.

Mais cet homme de tradition fut aussi un moderne, parvenu à l’âge d’homme au moment où s’achevait la fameuse querelle (v. Anciens et des Modernes [querelle des]) dont la signification n’est pas étroitement littéraire. Il s’est formé dans cette période de la « crise de conscience européenne » où l’ordre ancien et les valeurs admises sont ébranlés par un grand vent de contestation, et, jusqu’à sa mort, son horreur du « despotisme » s’est nourrie du souvenir des années sombres du règne de Louis XIV. L’éducation reçue chez les Oratoriens de Juilly, moins classiquement rhétorique que celle que dispensaient les collèges jésuites, a pu le prédisposer à jeter sur le vieux monde un regard neuf. Surtout, ce « grand provincial » est très tôt devenu un Parisien qui ne cessera d’être attiré par la capitale de l’Europe éclairée. Car cette attirance n’est pas seulement mondaine. L’aristocratie que Montesquieu fréquente dans les salons parisiens, notamment dans celui de Mme de Lambert, est aussi une élite intellectuelle où voisinent « beaux esprits », gens de lettres, savants et philosophes. Sa position sociale, le succès des Lettres persanes, son titre d’académicien lui ouvrent l’Europe entière lorsqu’il entreprend en 1728 le « grand tour » qui le conduit pendant trois ans de Vienne à Venise, à Florence et à Naples, de Rome en Hollande et à Londres, où il séjourne près de dix-huit mois. Grâce aux gazettes et aux récits de voyages, l’horizon s’élargit encore : à côté de l’Antiquité classique et des « origines » de la monarchie française ou de l’Europe contemporaine, les civilisations lointaines — la Perse, la Guinée, les deux Indes, le Japon, la Chine — ont leur place à La Brède. Français « par hasard », malgré l’enracinement dans le terroir natal, Montesquieu se veut citoyen du monde : il l’est de pratique autant que de vocation.

S’il inaugure un siècle cosmopolite, ce n’est cependant guère dans ses aspects futiles et superficiels. En voyage, il a la curiosité légère du mondain qu’amuse le pittoresque des mœurs, mais aussi une attention méthodique aux systèmes politiques comme aux aspects économiques, voire militaires de la vie des États. Peu sensible aux paysages, il découvre les beaux-arts en Italie, mais la beauté des œuvres, sans lui être étrangère, le retient moins que la manière dont elles sont faites. Tout au long de sa vie, il pousse jusqu’à la technicité le goût des observations précises et des faits de l’espace et du temps qui s’accumulent dans ses cahiers : Mes pensées, Spicilège, Voyages, Geographica. Mais son ambition intellectuelle déborde de beaucoup celle des « recueils » de curiosa, qui continuent, au xviiie s., la tradition de l’érudition humaniste. Montesquieu a la curiosité raisonnée du philosophe qui rapproche et relie les faits qu’isole l’observation superficielle, et il excelle à découvrir entre eux des rapports inattendus. Il a enfin le goût de l’utile et la passion du bien public. Moderne surtout par sa volonté de comprendre, pour qu’on y vive mieux, le monde où il vit.


Les « Lettres persanes » (1721) : un bilan lucide


« Quand j’arrive dans une ville, je vais toujours sur le plus haut clocher ou la plus haute tour pour voir le tout ensemble » (Voyages)

C’est un signe des temps que ses premiers travaux nous le montrent tenté à la fois par la science et par la politique. Son Mémoire sur les dettes de l’État (1716) et sa Dissertation sur la politique des Romains dans la religion (1716) sont des œuvres de circonstance où il prend position sur les difficultés financières et religieuses de la Régence. Elles sont immédiatement suivies d’un projet d’une Histoire physique de la terre ancienne et moderne (1719), projet que Buffon* réalisera trente ans plus tard — et d’Observations sur l’histoire naturelle, où un amateur malhabile se révèle hardi philosophe. Montesquieu s’y range parmi les « cartésiens rigides », pour qui les mystères de la génération relèvent du seul « mouvement général de la matière ». On peut voir dans ces premiers écrits et dans la double vocation dont ils témoignent au moins autant que dans la lecture de La Bruyère, de J.-P. Marana ou de C. Cotolendi, la « source » directe des Lettres persanes.