Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

modernisme (suite)

À l’Institut catholique de Toulouse, le recteur Mgr Pierre Batiffol (1861-1929) connaît une disgrâce d’autant plus difficile à expliquer que lui-même est un des premiers à dénoncer Loisy ; il est vrai qu’avec l’exégète Albert Lagrange (1855-1938), un dominicain, et l’apologiste Léonce Loizeau de Grandmaison (1868-1927), un jésuite, Mgr Batiffol, resté fidèle à la théologie orthodoxe, se situe plus dans le camp des progressistes que dans celui des modernistes.

Deux prêtres excommuniés, Albert Houtin (1867-1926) et Joseph Turmel (1859-1943), sont à classer, eux, parmi les modernistes rationalistes, qui concluent, au terme de leurs études historiques, à la faillite des dogmes catholiques. Si le philosophe Édouard Le Roy (1870-1954), avec son ouvrage Dogme et critique, s’apparente à Loisy, il est beaucoup plus difficile de cataloguer des hommes comme l’abbé Marcel Hébert (1851-1916) — qui quitta, lui aussi, l’Église et pour qui les dogmes ont fini par devenir de simples symboles dépourvus de tout fondement historique — et les philosophes Lucien Laberthonnière (1860-1932) et Maurice Blondel (1861-1949).

Il est vrai que, sous prétexte de « modernisme », ont été inquiétés ou suspectés par l’« intransigeantisme catholique » des hommes attirés par toutes les formes de la pensée et de l’action libérale et sociale, tels que l’historien du sentiment religieux Henri Bremond (1865-1933) et l’abbé démocrate Jules Lemire (1853-1928).

Après que le Saint-Office eut frappé maints ouvrages modernistes, Pie X décide de condamner solennellement le modernisme théologique, exégétique, philosophique et historique. Le décret Lamentabili sane exitu (3-4 juill. 1907) condamne 65 propositions hétérodoxes relatives à l’autorité du magistère de l’Église, à l’inspiration et à l’historicité des Livres saints, aux notions fondamentales de la Révélation, au développement du dogme, à l’institution et à la constitution de l’Église. Deux mois plus tard (8 sept. 1907), l’encyclique Pascendi complète cette condamnation, y englobant l’agnosticisme et l’immanence vitale. Enfin, le 1er septembre 1910, par le motu proprio Sacrorum antistitum, le pape impose à tous les prêtres le serment antimoderniste.

Longtemps à vif, les plaies causées par le modernisme et par la réaction brutale qu’il provoqua se sont fermées (le serment antimoderniste n’est plus exigé). Mais, depuis le deuxième concile du Vatican (1962-1965), les adversaires d’un progressisme qui touche nombre de clercs, de laïques, de théologiens, d’historiens et d’exégètes dénoncent dans l’Église un nouveau « modernisme » beaucoup plus important que celui du début du siècle, parce que, contrairement à celui-ci, il n’est plus le fait de quelques têtes pensantes, mais bénéficie de l’assentiment de beaucoup de chrétiens.

Alfred Loisy

Exégète et philosophe français (Ambrières 1857 - Ceffonds 1940).

Issu d’une famille d’agriculteurs champenois, Alfred Loisy entre dans l’état ecclésiastique. Prêtre en 1879, il quitte rapidement sa cure de campagne pour entrer comme élève de philosophie à l’Institut catholique de Paris, où sa connaissance de l’hébreu le fait désigner comme répétiteur, puis comme professeur (1881). Ses études et la pratique des langues orientales l’amènent naturellement à l’exégèse biblique. Docteur en théologie avec une thèse sur l’Histoire du canon de l’Ancien Testament (1890), professeur d’Écriture sainte, Loisy met hardiment en œuvre les méthodes de la philologie moderne dans son enseignement et ses publications (Histoire du canon du Nouveau Testament, 1891 ; Histoire critique du texte et des versions de l’Ancien Testament, 1892).

Historien, il professe l’indépendance absolue de la critique biblique et de l’histoire ecclésiastique par rapport à la Révélation et aux dogmes, concevant ainsi un Christ historique distinct du Christ de la foi, le message de Jésus étant pour lui « la nécessité d’une conversion morale, d’un changement intérieur en vue du Royaume à venir ».

Philosophe, il prétend que les idées dans l’ordre religieux ne sont que des métaphores et des symboles ; il en arrivera ainsi à construire une religion morale sans métaphysique, une religion de l’humanité fondée sur le sentiment religieux, la foi ne pouvant, selon lui, étreindre la transcendance divine.

Privé de sa chaire en 1893, confiné en une aumônerie obscure, il poursuit ses recherches et ses travaux. D’un gros ouvrage resté inédit, la Crise de la foi dans le monde moderne, il tire les matériaux de l’Évangile et l’Église (1902), qui veut être une réfutation du protestantisme libéral exalté par l’exégète allemand A. Harnack : il y considère l’Église comme la grande puissance morale de l’humanité, au langage d’ailleurs mal adapté, mais non comme la gardienne d’un corps de doctrines immuables, ni comme la réalisation du royaume de Dieu.

L’Évangile et l’Église ayant été condamné par Rome, Loisy, tout en se soumettant, défend sa pensée dans Autour d’un petit livre (1903). Mais voici qu’en 1907 le décret Lamentabili et l’encyclique Pascendi condamnent un certain nombre de propositions, dont la plupart sont tirées des œuvres de Loisy. Celui-ci, ayant refusé de souscrire à ces documents, et sans avoir été entendu, est excommunié le 7 mars 1908. Quelques mois plus tard, il est élu professeur d’histoire des religions au Collège de France ; il gardera sa chaire jusqu’en 1933.

Dans sa solitude, il continue à travailler et à publier, cherchant moins à faire des disciples qu’à se situer par rapport au vaste mouvement intellectuel né du modernisme, tirant sa force de convictions jamais ébranlées et aussi de quelques amitiés solides, notamment celle de Mgr Mignot, archevêque d’Albi, et de l’abbé Henri Bremond. Ses Mémoires pour servir à l’histoire religieuse de notre temps (1930-31 ; 3 vol.) constituent une source importante pour l’histoire de la pensée moderniste.

P. P.

P. P.

➙ Catholicisme / Démocratie chrétienne / Église catholique / Pie X.