Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

méthodisme (suite)

En peu de temps, ils opposent un démenti éclatant au diagnostic narquois de Voltaire : « On est si tiède en Angleterre, qu’il n’y a plus guère de fortune à faire pour une religion nouvelle ou renouvelée. » La flamme oratoire de Whitefield, la puissante logique de Wesley rassemblent et conquièrent les foules. Et, comme le clergé en place se sent mis en cause et les exclut des églises, c’est en plein air, au milieu des mineurs, qu’ils commencent à annoncer la bonne nouvelle de la grâce souveraine et mobilisante. Aux craintifs et aux furieux, avec une tranquille assurance, Wesley oppose : « Le monde entier est ma paroisse », et va de l’avant vers de nouvelles conquêtes. Entouré de la méfiance et de l’inertie des clercs, il n’hésite pas à traduire dans les faits la conviction centrale de l’ecclésiologie de la Réforme : le sacerdoce universel ; malgré de très fortes réticences à l’intérieur même de son groupe d’amis et, sans doute, en lui-même aussi, il confie à des laïques la charge de prêcher et, afin de former de façon permanente ceux qui vont être les porteurs de l’Évangile aux masses déchristianisées, il organise, en 1739, les class meetings, qui sont une des caractéristiques de l’organisation du méthodisme. Et, irrésistiblement, l’évangélisation fait tache d’huile.

Toutefois, le mouvement naissant est éprouvé par une crise profonde : partisans d’une soumission étroite aux moraves et représentants d une indépendance entière par rapport aux influences allemandes, mais aussi « prédestinatiens » regroupés autour de Whitefield et arminiens conduits par Wesley s’affrontent en son sein. En dépit des tentatives de conciliation de Zinzendorf, la séparation se produit en 1741 : Whitefield, prédicateur génial, soulève littéralement les auditoires, mais s’avère inapte à organiser un mouvement durable, cependant que Wesley, avec une patience de laboureur, édifie, lentement, méthodiquement (!), une communauté qui va traverser les siècles. Solidement ancré à Londres et à Bristol, il en rayonne et conquiert petit à petit toute la Grande-Bretagne : organisés militairement, les auxiliaires laïques tiennent ferme contre les magistrats, l’armée, les clercs anglicans et la populace : des chapelles sont dévastées, des assemblées dispersées par la violence, des prédicateurs battus à mort ; tout cela ne fait que fortifier la jeune Église. Étranger à tout esprit de sectarisme ou de rancune, Wesley ne cesse de tendre une main fraternelle à ses ennemis de droite et de gauche ; à la longue, il finit par ébranler le conformisme et la tiédeur des uns et des autres.

Inlassablement, Wesley met en place l’organisation qui reste aujourd’hui encore caractéristique du méthodisme : ceux qui ont été convertis par la prédication sont regroupés en « classes », sorte de lieux de formation permanente, à une époque où ce mot n’est pas encore à la mode ; des « leaders » sont institués qui président à ces groupes et répartissent entre leurs membres des « circuits » à parcourir, sortes de visitation systématique des villages et des villes, à l’image du Christ. Et ainsi, avec un sens étonnant de l’adaptation aux lieux et circonstances, refusant tout modèle figé, le mouvement passe les mers : Irlande, Antilles, Amérique sont atteintes, et des groupes y naissent qui s’individualisent en prenant chaque fois les traits du caractère national et des traditions religieuses de ces contrées nouvelles. À la mort de Wesley, en 1791, plus de 500 prédicateurs itinérants sillonnent le monde, plus de 100 000 chrétiens militants signifient et communiquent l’Évangile là où ils vivent.

C’est ultérieurement que le mouvement se structurera en une Église plus homogène, non plus seulement comme un courant vivifiant à l’intérieur de toutes les communautés ouvertes à son influence, mais avec liturgie propre, célébration des sacrements, organisation épiscopale, sociétés bibliques, facultés de théologie et écoles populaires. Après les Antilles, où il joue un rôle décisif dans l’émancipation des esclaves, c’est Ceylan, l’Inde, l’Afrique qu’évangélisent ses missionnaires, puis l’Océanie et l’Australie, l’Amérique du Sud, la Chine, le Japon, la Scandinavie, la Bulgarie, l’Allemagne, l’Italie... En France, quelques groupes sont créés au début du xixe s., particulièrement en Normandie, depuis les îles Anglo-Normandes, dans le Gard, la Drôme et les Hautes-Alpes, qui contribuent grandement à réveiller un protestantisme à peine sorti de deux siècles de persécution ininterrompue. Dès les origines du mouvement œcuménique du xxe s., le méthodisme y adhérera d’enthousiasme ; en France, il se fond en 1938 dans l’unité de la famille calviniste, regroupée dans l’Église réformée de France.

Les 8 millions de membres confessants des Églises méthodistes ont pris à contre-pied la tradition de la majorité des grandes Églises instituées : « Celles-ci, comme on a pu le dire, essaient de sauvegarder leur vie spirituelle par leur orthodoxie : le méthodisme conserve son orthodoxie par la vie spirituelle. » Encore faut-il remarquer que celle-ci est résolument extravertie, ouverte et donnée aux autres, solidaire des humbles et des persécutés, critique à l’égard de toutes les formes de pouvoir. Sa fonction est de sans cesse rappeler que l’évangile se manifeste moins dans l’édification et l’entretien de grandes institutions immuables que dans une vie livrée aux autres, rayonnant la joie du salut dans l’humble et persévérante volonté de libération des hommes. Aussi n’est-il pas étonnant qu’en 1972, au moment où le Conseil œcuménique des Églises découvrait que, pour sortir des impasses de la recherche de l’unité par la voie des consensus doctrinaux, il fallait se préoccuper de promouvoir un nouveau style de vie chrétienne, largement ouvert aux grands problèmes de l’histoire contemporaine, ce soit un méthodiste du tiers monde, le Noir jamaïcain Philip Potter, qui ait été choisi comme secrétaire général de la grande organisation regroupant quelque 500 millions de chrétiens non catholiques. Ce passage de l’orthodoxie à ce que l’on appelle parfois l’« orthopraxie » est illustré par le fait qu’à la tête de la division « évangélisation et mission » du même Conseil œcuménique, c’est un autre méthodiste du tiers monde, l’Uruguayen Emilio Castro qui a succédé... à Philip Potter.

Le méthodisme continue de jouer un rôle décisif de réveil spirituel et d’inlassable appel au service évangélique de tous les hommes.

G. C.

➙ Églises protestantes / Protestantisme.