Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Mésopotamie (suite)

Seule une communauté de fort effectif peut construire un système d’irrigation avec digues, bassins de retenue, canaux d’amenée et d’évacuation des eaux. Moyennant un énorme travail, l’argile fertile des alluvions donne des récoltes de dattes, d’orge, de blé et de sésame abondantes et relativement régulières, qui, à leur tour, contribuent à l’entretien d’un cheptel important. Malgré son étendue limitée (40 000 km2, dont plus de la moitié sont couverts par les eaux), le Bas Pays va nourrir une population plus nombreuse que la haute Mésopotamie.

L’absence de matières premières, en dehors de l’argile et du roseau, en basse Mésopotamie, contraint ses agglomérai ions à développer ses échanges de denrées alimentaires, de laine et de produits de l’artisanat contre le bois, les pierres dures ou rares et le cuivre, qui viennent des montagnes de la périphérie ou même des régions plus lointaines. Très tôt, dans le Bas Pays, l’artisanat et le commerce occupent une part importante de la population, la spécialisation professionnelle et la hiérarchie sociale se précisent, et le Bas Pays devient le foyer culturel de l’ensemble mésopotamien.


Les « civilisations » villageoises (VIIe-IVe millénaire)

Ce terme de civilisation est employé ici, faute de mieux, pour s’appliquer à une région étendue dont les agglomérations ont en commun une céramique caractéristique pendant une longue durée. On n’est pas sûr que cette région constitue une véritable unité culturelle, linguistique ou ethnique. D’autre part, toutes ces civilisations débordent sur les pays voisins (Iran, Anatolie, couloir syrien, Arabie), et l’on ignore encore quel est leur point de départ.

Si on laisse de côté les groupes pionniers, d’étendue limitée, comme ceux de l’Euphrate moyen (fin du VIIe millénaire), dont la céramique foncée polie (dark burnished) vient d’Anatolie, et ceux du piémont (comme Jarmo), la série des civilisations commence avec les poteries peintes. Celle de Hassouna (au sud de Ninive, à l’ouest du Tigre) est limitée aux pays d’agriculture sèche du bassin du Tigre en haute Mésopotamie (VIe millénaire). Celle de Sāmarrā (sur le Tigre moyen, au nord-ouest de Bagdad), qui se situe dans la seconde moitié du VIe millénaire, est le propre d’agriculteurs qui colonisent toute la haute Mésopotamie utile et affrontent à l’est, dans la vallée du Tigre moyen et sur le piémont, les sols humides, où ils creusent les premiers canaux ; des outils de cuivre martelé, des perles de turquoise et de cornaline témoignent d’un commerce avec l’intérieur de l’Iran ; et, au tell es-Sawwan (ou al-Suwan ; 10 km au sud de Sāmarrā), un établissement protégé par un fossé possède déjà un temple.

Avant la fin du VIe millénaire, les premiers établissements connus de la basse Mésopotamie fabriquent des céramiques (celles d’Eridou, de Hadjdji Muhammad, d’Obeïd, dans la basse vallée de l’Euphrate) qui auraient une parenté avec celle de Sāmarrā.

Après 5500, la partie de la haute Mésopotamie consacrée à la culture sèche connaît la diffusion de la céramique de Halaf (un tell de la partie nord-ouest du bassin du Khābūr), qui dure en certains sites jusque vers le milieu du IVe millénaire, mais qui, la plupart du temps, est remplacée par celle d’Obeïd (5 km à l’ouest d’Our), venue du sud (v. 4300) et destinée à durer en quelques agglomérations du nord jusque vers 3500. Durant ces deux longues périodes, l’organisation économique et les techniques progressent dans l’ensemble de la Mésopotamie : après le milieu du Ve millénaire, le sceau se répand, mais nous ne savons pas quel type de propriété il sert alors à marquer. Le commerce s’amplifie avec l’Iran, riche en minerais, et, à la fin du Ve millénaire, le cuivre moulé remplace le cuivre martelé pour l’outillage au pays des Deux Fleuves. La concentration de la population en grosses agglomérations et l’enrichissement, qui vont de pair, se traduisent par l’édification de temples en briques crues, rebâtis et agrandis de siècle en siècle. On connaît deux séries de temples : celle d’Eridou (depuis 5300 environ), au Bas Pays, et celle de tepe Gawra (ou Gaura, depuis 4300 environ), au nord-est de Ninive ; et la construction du temple sur une plate-forme à laquelle on accède par une rampe (à Eridou, v. 4300) est peut-être la première étape vers la réalisation de la ziggourat.


La naissance de la civilisation mésopotamienne (v. 3450-3000)

La poterie d’Obeïd est finalement remplacée par celle d’Ourouk* (sur l’Euphrate inférieur), qui est diffusée à partir du sud de la basse Mésopotamie (v. 3700-3300) et qui, produite en masse, n’a pas de décor peint. La poterie peinte de Djemdet-Nasr (40 km au nord-est de Babylone) apparaît dès 3400 et dure jusqu’à la fin du IVe millénaire. Mais le changement essentiel se fait lors de la période (v. 3450-3300) que l’on nomme « Ourouk 4-3 » (deux niveaux du grand sondage de l’Eana, temple d’Inana à Ourouk), « Protoliterate » (débuts de l’écriture) ou « Prédynastique final » (l’époque suivante étant le Dynastique archaïque), dénominations qui n’ont pas fait disparaître la division en périodes d’Ourouk (v. 3700-3300) et de Djemdet-Nasr (v. 3300-3000).

C’est dans la partie méridionale de la basse Mésopotamie (le pays historique de Sumer*), le delta intérieur, où les crues sont moins dangereuses et les travaux d’irrigation moins difficiles, que se trouve le foyer de la civilisation nouvelle qui différencie ce pays du reste de l’Orient. Celle-ci naît de l’interaction de l’augmentation de la population, de sa concentration en agglomérations plus importantes (peut-être déjà de véritables villes), des découvertes qui se situent à la fin d’Obeïd et au début d’Ourouk (cuivre moulé, tournette, puis tour à potier, chariot), de l’accroissement des échanges avec le reste de l’Orient (l’or et le lapis se répandent au pays des Deux Fleuves) et elle se traduit par un essor rapide des arts. Chaque centre élève des temples, qui sont rapidement remplacés et que l’on décore de peintures murales et de mosaïques faites des têtes peintes de cônes de terre cuite enfoncés dans la muraille ; ces édifices atteignent parfois de vastes dimensions (le temple C d’Ourouk mesure 54 m sur 22 m). Cette époque voit aussi les débuts de la sculpture (reliefs de vases, stèles, figurines), qui donnent parfois des chefs-d’œuvre, comme la Dame d’Ourouk. Les artisans de la glyptique, également habiles, gravent sur les cylindres-sceaux une extraordinaire variété de sujets.