Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Mésopotamie (suite)

Toute cette activité est destinée à la divinité ou aux plus importants de ses serviteurs. La population est déjà organisée en cités-États, possédant leur conseil des Anciens et leur assemblée, et, si l’on en juge par certaines œuvres d’art, un roi guerrier plus influent que les prêtres et que ceux qui gèrent le domaine du dieu. Cette grande unité économique, qui comporte champs, troupeaux, ateliers, greniers et magasins, n’englobe ni toute la terre de la cité ni toute sa main-d’œuvre, mais elle est la seule à avoir laissé des traces : c’est pour ses comptes et ses contrôles que l’on invente la première de toutes les écritures et le sceau de forme cylindrique qui, mieux que le cachet plat, couvre le tampon d’argile des portes et des récipients d’une empreinte continue qui en garantit l’intégrité. Attesté à Ourouk dès 3400 environ, ce système graphique, qui est l’ancêtre de l’écriture cunéiforme, emploie dès avant 3000 les signes phonétiques qui permettent d’y lire du sumérien.

Pour cette raison, bien que Sémites et Sumériens soient déjà mêlés dans toute la basse Mésopotamie, on est porté à attribuer aux Sumériens l’invention de l’écriture. Mais les spécialistes ne sont pas d’accord sur la date d’arrivée de ce peuple au Bas Pays : les uns pensent que c’est lui qui a colonisé la région au VIe millénaire, puisque, depuis cette période, il n’y a là aucune rupture culturelle liée à des destructions qui indiqueraient une invasion ; d’autres, remarquant qu’il y a dans le vocabulaire sumérien des termes techniques qui sont étrangers aux langues sumérienne et sémitique, estiment que les Sumériens sont venus tardivement submerger sous leurs infiltrations un peuple plus évolué et plus anciennement installé au Bas Pays.

Sumérienne ou non, la civilisation qui apparaît vers le milieu du IVe millénaire dans le sud de la basse Mésopotamie manifeste après 3300 davantage de dynamisme. Dans son pays d’origine, s’il n’y a plus d’inventions, les techniques découvertes précédemment sont mises plus largement au service de la production ; les objets d’art sont moins soignés, mais plus nombreux. La civilisation de la haute Mésopotamie, qui prolongeait celle d’Obeïd, recule après la destruction (v. 3400) de tepe Gawra, la ville aux trois temples, qui était la principale bénéficiaire du commerce entre l’Iran et le pays des Deux Fleuves. Au contraire, le foyer culturel du Sud englobe rapidement le nord de la basse Mésopotamie, la plaine fluviale, plus tardivement colonisée parce que plus difficile à irriguer. Et des traces de l’influence du Sud, plus ou moins importantes suivant la distance, se retrouvent en Susiane, en haute Mésopotamie, en Iran, en Syrie septentrionale et jusqu’en Anatolie et en haute Égypte.


Les cités-États rivales (v. 3000-2350)

Dans cette période dite « Dynastique archaïque », la haute Mésopotamie reste en retard par rapport au Sud. Le meilleur critère en est l’usage de l’écriture, dont les signes prennent peu à peu l’allure de paquets de clous ou de coins (d’où le terme de cunéiforme) ; elle n’est adoptée au Dynastique archaïque que dans les agglomérations de la basse vallée de la Diyālā et à Mari, sur l’Euphrate moyen. D’autres centres (Assour sur le Tigre moyen, tell Brak dans le bassin du Khābūr), s’ils n’emploient pas l’écriture, ont pourtant reçu un tel apport technique et artistique du Bas Pays que l’on a cru y voir des comptoirs ou des dépendances de centres du Sud.

La basse Mésopotamie continue à progresser rapidement, surtout au Dynastique archaïque III (v. 2600-2350), en dépit de son morcellement politique. Dès le début de la période, il y a eu une diminution du nombre des agglomérations et une augmentation de la taille de celles qui survivent. Il n’y a plus maintenant de doute : ce sont de véritables villes, ceintes d’une muraille. Leurs relations, qui s’étendent alors au sud-est de l’Iran (tepe Yahya) et à la vallée de l’Indus, leur valent toujours plus de matières premières et de recettes techniques. La métallurgie du cuivre accroît sa production et améliore ses procédés : dès 2500, on réalise pour des objets d’art un véritable bronze d’étain. Les offrandes des temples et de certaines tombes montrent la richesse du pays et l’habileté de ses artisans : si la sculpture est en déclin, sauf pour la représentation des animaux, la métallurgie et l’orfèvrerie témoignent d’un goût raffiné.

Les villes continuent à élever des temples, où les notables déposent des offrandes et des orants (figurines qui les représentent en prière). Chaque cité a plusieurs temples (chacun d’eux pouvant héberger les idoles d’une divinité seule, d’un couple divin ou d’une famille de dieux) ainsi qu’un panthéon hiérarchisé et dominé par la divinité protectrice de la ville. Les représentations conventionnelles des dieux, les symboles qui les désignent et les premières inscriptions permettent d’identifier des divinités qui étaient sans doute en place aux âges précédents et se maintiendront jusqu’à la fin de la civilisation mésopotamienne : ainsi, chez les Sumériens, Inana (déesse de la Fécondité), Enlil (le vent), En-ki (l’eau bienfaisante), An (le ciel).

Les inscriptions historiques qui apparaissent au xxviie s. et les archives de Tello (un site du royaume de Lagash, sur le Tigre inférieur), du xxvie au xxive s., révèlent les institutions que l’on entrevoyait seulement pour le IVe millénaire. Chaque cité-État est gouvernée par un roi héréditaire qui est vicaire (ou bien délégué, gouverneur) du grand dieu local et le chef des guerriers. À la même époque, semble-t-il, ce souverain cesse d’habiter le temple, et l’on construit les premiers palais, tandis que l’on se met à distinguer l’unité économique dépendant du dieu de celle qui appartient au roi (les historiens les nomment temple et palais). Parfois, le pouvoir sacerdotal (représenté par un « comptable », ou prêtre), séparé du pouvoir royal, se heurte à ce dernier.