Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

masse (suite)

Notons, pour conclure, que la notion de masse reste une notion incertaine et qui, parfois, fait obstacle à la recherche. Un exemple nous le montrera. En sociologie de l’information, les enquêtes s’appuyaient sur l’image d’un public « masse », public atomisé et instructuré. Aussi étaient-elles le moins préparées possible à la découverte des réseaux d’influence interpersonnels qui organisaient la diffusion de l’information (ce qu’on a appelé le two-step-flow), car les chercheurs étaient obnubilés par l’idée d’auditoires « massifs », groupements purement statistiques.

Peut-être faut-il aller jusqu’à ne voir dans la notion de masse qu’un « schème métaphorique » qui fonctionne à la fois dans la naïveté du langage commun et dans le discours du savant. Comme le dit Yvon Belaval parlant de tels schèmes : « S’ils nous convainquent, c’est qu’ils nous font glisser et osciller, à notre insu, entre l’image et la pensée, entre le concret et l’abstrait. Allié à l’imagination, le langage transpose subrepticement la certitude de l’évidence sensible à la certitude de l’évidence logique. »

A. A.

 G. Lebon, Psychologie des foules (Alcan, 1895). / J. Ortega y Gasset, La rebelión de las masas (Madrid, 1930 ; trad. fr. la Révolte des masses, Delamain et Boutelleau, 1937). / Y. Belaval, les Philosophes et leur langage (Gallimard, 1952). / W. A. Kornhauser, The Politics of Mass Society (Londres, 1960). / R. Martel, la Foule (Larousse, 1974).

Massenet (Jules)

Compositeur français (Montaud, près de Saint-Étienne, 1842 - Paris 1912).


Fils d’un maître de forges, Jules Massenet fut de bonne heure initié à la musique par sa mère. À neuf ans, il entrait au Conservatoire. Il y obtint en 1859 un premier prix de piano et en 1863 le premier grand prix de Rome. Avant d’être encouragé par Henri Reber et par Ambroise Thomas — son maître véritable —, il s’était violemment opposé à François Bazin, son professeur d’harmonie. Il devait — ô ironie ! — succéder à ce dernier non seulement à l’Institut, mais au Conservatoire pour y enseigner la composition de 1878 à 1896. Alfred Bruneau, Gustave Charpentier, Ernest Chausson, Georges Enesco, Reynaldo Hahn, Charles Koechlin, Henri Rabaud, Florent Schmitt allaient compter parmi ses élèves.

En 1867, Massenet se voit commander pour l’Exposition universelle un lever de rideau : la Grand’Tante. À la même époque, ses premières mélodies connaissent dans les salons les plus enviables succès. Après 1871, Massenet est applaudi au concert. Il réussit dans la suite descriptive (Scènes pittoresques, 1874) comme dans l’ouverture dramatique (Phèdre, 1873) ou dans l’oratorio (Marie-Magdeleine, 1873). Son premier opéra, Don César de Bazan (1872), avait déjà fait de lui un redoutable rival de Bizet. Celui-ci disparu, Massenet va prendre la première place dans l’actualité lyrique. Après le foudroyant succès du Roi de Lahore (1877), il s’oriente définitivement, sinon exclusivement, vers la scène. Manon (1884), le Cid (1885), Esclarmonde (1889) réaliseront les plus fabuleuses recettes. Mais Hérodiade (1881) et Werther (1892) ne seront aussi bien accueillis qu’après avoir paru sur une scène étrangère. D’ailleurs, à partir de 1902 — année du Jongleur de Notre-Dame —, presque tous les ouvrages de Massenet seront joués d’abord à Monte-Carlo. Ils se suivront au rythme d’un par an, mais leur succès ira déclinant. Don Quichotte (1910) fera exception, pour avoir été magistralement servi par Chaliapine et par Vanni Marcoux.

Dès ses premières pièces vocales — souvent groupées en « poèmes » (Poème du souvenir), qui inaugurent le cycle dans le lied français —, Massenet renonçait à la mélodie carrée et symétrique chère à Gounod. Il optait pour un discours continu, inspiré de Wagner et habilement partagé entre la voix et la partie instrumentale. Signée cette fois par un véritable pianiste, celle-ci introduisait en France les procédés d’écriture de Schumann. Serviteur aussi zélé de l’orchestre que de la voix, Massenet réalisera après Gounod une nouvelle étape dans la reconquête d’une déclamation adaptée au génie de la langue française. Cette démarche était d’un mélodiste également doué, mais aussi d’un polyphoniste plus savant, d’un orchestrateur plus éprouvé. Comment s’étonner alors que Massenet ait fait école par-delà ses élèves, notamment auprès de Fauré et du jeune Debussy ? Avec un mélange à la fois si personnel et si détestable de délicatesse et de vulgarité, ce musicien de la femme et de l’amour cultiva une sentimentalité un peu facile, mais qui correspondait bien au goût de la bourgeoisie de son temps. Celle-ci fit son idole du chantre de Manon et de Thaïs. Mais, tôt ou tard, Massenet devait être prisonnier de son désir de plaire avant tout. À mesure que les courants naturalistes et symbolistes s’imposaient, il passait à l’arrière-plan.

F. R.

➙ Livret / Mélodie / Opéra / Opéra-comique.

 L. Schneider, Massenet, l’homme, le musicien (Carteret, 1907) ; Massenet, 1842-1912 (Fasquelle, 1926). / J. Massenet, Mes souvenirs (P. Laffitte, 1912). / R. Brancour, Massenet (Alcan, 1922 ; 2e éd., 1931). / A. Bruneau, Massenet (Delagrave, 1935). / A. Coquis, Jules Massenet (Seghers, 1965).

Massine (Léonide)

Danseur et chorégraphe d’origine russe (Moscou 1896), naturalisé américain (1944).


Formé à l’École impériale de danse de Moscou, puis par le maître Enrico Cecchetti (1850-1928), initié à l’art dramatique, Massine, devenu brillant technicien et danseur de caractère, a consacré sa vie au ballet. Sa production chorégraphique est très importante, et son apport — en dépit des fluctuations de la « mode » — reste considérable. Ses créations majeures ont toutes été remontées par lui pour les plus grandes troupes internationales. « Si Balanchine* est par excellence le chorégraphe-musicien et Lifar* le chorégraphe-danseur, Massine, lui, peut être défini comme le chorégraphe-acteur. Un ballet de Massine se joue autant qu’il se danse » (M. Tassart). En effet, Massine, incarnation de l’idéal noverrien, traite ses chorégraphies en homme de théâtre, associant dans une remarquable unité la danse, la musique et la peinture. Sans avoir de méthode absolue de travail, tantôt il se laisse guider par la musique, tantôt il recherche la partition qui s’adapte le mieux au plan qu’il a élaboré. Toutefois, ses ballets symphoniques suivent toujours la musique (les Présages, 5e symphonie de Tchaïkovski ; Choreartium, 4e symphonie de Brahms). Mais, quelle que fût la voie suivie, Massine — qui n’était pas instrumentiste — s’astreignait toujours à lire parfaitement toutes les partitions qu’il utilisait. Précis dans ses constructions, minutieux dans la recherche de l’expression, il sait animer les grands groupes, dont il individualise chaque élément. L’éclectisme de son inspiration démontre l’étendue de sa culture. Refusant la virtuosité comme une fin en soi, Massine soumet son style à chacun des genres et des sujets choisis. Si les toiles de Puvis de Chavannes ou de Jérôme Bosch lui offrent une gamme de poses et de silhouettes, si les fresques de Giotto lui proposent des attitudes douloureuses, il puise avec bonheur dans le jeu de la commedia dell’arte (les Femmes de bonne humeur) ou le folklore espagnol (le Tricorne).

Faisant preuve d’une rare puissance de travail, il réclame de longues heures de travail à ses danseurs. Très exigeant et peu communicatif, il sait mettre en valeur chaque talent, n’ayant, par contre, aucune indulgence pour les faiblesses des exécutants. Maître de lui en toutes circonstances, il accepte responsabilités et solitude avec la même sérénité.

Doué d’une très grande mémoire, il n’en note pas moins ses chorégraphies (avec le système Stepanov), qu’il prend soin, malgré tout, de filmer en vue de futures réalisations.