Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Maroc (suite)

Le temps d’Al-Manṣūr

• 1578 : en battant les Portugais du roi Sébastien* à el-Ksar el-Kébir (Alcazarquivir), le Sa‘dien Al-Manṣūr acquiert prestige et richesse.

• Aḥmad al-Manṣūr (de 1578 à 1603) pousse ses avantages vers les oasis du Touat et du Gourara, se rendant maître du commerce saharien.

• Le Maroc jouit alors d’une grande prospérité économique (cultures, industrie artisanale) et se rénove sur le plan administratif et militaire, tandis qu’en architecture se multiplient les chefs-d’œuvre.


xviie et xviiie siècle

• 1603-1660 : à la mort d’Al-Manṣūr, le Maroc retombe dans l’anarchie ; la conjoncture s’effondre au moment où l’Amérique devient pour l’Europe un fournisseur d’or et de sucre ; la piraterie, quoique contrôlée par le souverain — dont le centre est Salé —, prend des proportions considérables ; le pays se morcelle sous l’influence des ambitions personnelles et des querelles successorales. Huit sultans sa‘diens sont assassinés.

• 1666-1672 : les chérifs ‘alawītes du Tafilalet finissent par émerger de cette anarchie et se rendent maîtres de Fès, du Rharb et de Marrakech.

• 1672-1727 : le long règne de l’‘Alawīte Mūlāy Ismā‘īl renoue avec la grande tradition marocaine. En fait, ce souverain, que la légende montre paré de qualités exceptionnelles, est surtout un conquérant dont la redoutable armée — composée de Noirs et de corsaires — réduit les tribus insoumises, récupère sur les Européens Mehdia (1681), Tanger (1684), Larache (1689). En même temps, le sultan donne un extraordinaire éclat à l’art marocain : Meknès notamment se couvre de monuments.

• 1727-1757 : longue période d’anarchie et de difficultés économiques.

• 1757-1790 : le règne de Muḥammad III ibn ‘Abd Allāh est marqué par le retour à l’ordre et par un certain essor. Mais le développement des relations commerciales avec l’Europe — un nouveau port est créé à Mogador (auj. Essaouira) pour concentrer le commerce européen — n’arrête pas la décadence marocaine, d’autant moins que les puissances étrangères (Angleterre et France notamment) cherchent surtout à s’assurer au Maroc d’utiles privilèges.

• Les règnes de Mūlāy Yazīd (de 1790 à 1792) et de Mūlāy Sulaymān (de 1792 à 1822) sont marqués par le repliement d’un pays ravagé par des épidémies meurtrières, la dépopulation, les révoltes internes, l’isolement diplomatique (les agents diplomatiques sont relégués à Tanger).

P. P.


L’art ancien du Maroc

L’art marocain semble avoir mis longtemps à acquérir sa personnalité, mais nous ne disposons, pour en juger, que d’un nombre réduit de ses premiers monuments. Certes Fès*, fondée par les Idrīsides, conserve deux vénérables édifices, la mosquée Qarawiyyīn (857) et la mosquée des Andalous (859-60), mais ils furent si transformés qu’ils reflètent plus les arts almoravides et almohades que ceux de l’islām primitif. Leurs splendides chaires à prêcher (minbar) témoignent de la maîtrise des menuisiers qui s’affirmera encore dans la chaire de la Kutubiyya de Marrakech*, mais elles proviennent sans doute d’ateliers espagnols.

À l’arrivée des Almoravides, les influences méridionales, sans doute une renaissance des traditions berbères, et la plus grande rareté des matériaux antiques provoquent un renouvellement de l’architecture : de massifs piliers commencent à remplacer les colonnes, les arcs affectent une forme en plein cintre très outrepassée, le décor tend à la sobriété, voire à l’austérité. En dehors de la Qarawiyyīn de Fès, peu d’œuvres marocaines sont là, cependant, pour le dire. L’époque almohade est à peine plus riche, mais les monuments qui subsistent tirent leur importance et de leur valeur intrinsèque et de ce qu’ils affirment la naissance d’un style national, à vrai dire si hispanisant qu’on lui a donné le nom d’hispano-moresque. Celui-ci se caractérise par son appareillage, par les arcs brisés outrepassés, concentriques ou lobés, par les coupoles sur trompe, par l’emploi systématique des stalactites orientales, déjà connues des Almoravides, et par les entrelacs architecturaux. La mosquée Kutubiyya de Marrakech (xiie s.) subit l’influence combinée de Cordoue* et de Kairouan*, mais de nouvelles recherches s’y font jour. Son minaret se retrouve, plus magistralement encore, à la tour Ḥasan de Rabat*, inachevée, qui comporte dans sa partie haute un décor de losanges réalisés par la superposition de petites arcatures polylobées. Ce décor est le prototype de ceux des minarets ultérieurs. La mosquée de Ḥasan à Rabat (134 × 188 m), elle aussi inachevée, n’est plus qu’un champ de ruines où l’on voit encore le plan à 21 nefs, limitées par des colonnes et aérées par trois cours rectangulaires. Comme la mosquée de Tinmel (Tīnmāl), dans le Haut Atlas, est aussi ruinée, le seul monument religieux qu’il reste à mentionner est la mosquée de la casbah, ou mosquée d’al-Manṣūr, à Marrakech (v. 1190), dont la pureté a été altérée par des transformations. Cependant, dès le xie s., le Maghreb multiplie les ouvrages militaires. Les enceintes et les casbahs (qaṣba), citadelles urbaines, présentent, en pierre ou en pisé, des tours flanquantes et surtout des portes monumentales à compter parmi les meilleures œuvres de l’islām d’Occident. Anciennes ou récentes, malgré leurs qualités, celles de Salé (Salā) et de Fès la Neuve (Fās al-Djadīd) [xiiie s.], de Chella (Chālla) [xive s.], de Mehdia (Mahdīya) [xviie s.], de Meknès (xviie-xviiie s.) sont éclipsées par celles de Rabat (porte de la qaṣba al-Ūdāya et Bāb al-Ruwāḥ, xiie s.) : les sobres décors en arabesque des écoinçons, l’épigraphie coufique d’encadrement s’y harmonisent parfaitement avec les arcs concentriques et les fortes corniches de couronnement. À Mogador (auj. Essaouira), au xviiie s., une belle porte adoptera le style européen.

Sous les Marīnides, les édifices sont de dimensions plus modestes, mais leur décor gagne en raffinement, et leurs proportions en harmonie. Les grandes mosquées de Taza (commencée au xiie s.) et de Fās al-Djadīd (xiiie s.) annoncent le style nouveau. Les plus belles réalisations de l’époque doivent pourtant être cherchées hors du Maroc, à Tlemcen (v. Algérie). Ce sont les artistes tlemcéniens qui imposent leurs goûts jusqu’à Fès, ainsi à la mosquée Rouge (xive s.). Sous les Marīnides également, les types monumentaux deviennent plus variés. Au xiiie s. se répand en Occident la madrasa orientale (ici nommée medersa), non sans que son plan soit modifié : la cour centrale est entourée de trois côtés par des galeries, sur lesquelles s’ouvrent les chambres, et, à lest, par l’oratoire, qui sert aussi de salle de cours. Nombreuses à Salé, Meknès, Taza, les medersa le seront plus encore à Fès, la capitale, où la medersa Bū ‘Ināniyya est le chef-d’œuvre du genre (1350-1357). Née peut-être du monastère fortifié (ribāt), la zāwiya est un couvent qui se développe autour de la tombe d’un saint (Salé) ; mais, sous son nom, des édifices assez différents apparaissent. À Chella, la zāwiya marīnide, à laquelle on accède par une belle porte, est une véritable nécropole. Dans ce faubourg de Rabat, un tombeau du xive s. est l’unique exemple, mutilé, d’un mausolée à façade de pierre soigneusement ornée. Du xive au xviiie s. seront construits, en nombre, des fondouks (funduk), hôtelleries et bazars.