Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Maroc (suite)

Parallèlement, la colonisation des terres connaît, depuis la convention de Fès, un essor particulier. Les autorités coloniales facilitent non seulement l’acquisition des terres domaniales, mais aussi celle des propriétés privées et des terres collectives. Tel est l’objet de deux dahirs (ẓahīr : textes législatifs) promulgués respectivement en 1913 et 1919. En instituant l’immatriculation foncière, le premier assure aux Européens la sécurité de la propriété et leur ouvre ainsi les domaines privés. Le second reconnaît certes le caractère inaliénable des terres collectives, mais permet à l’État leur acquisition « à la suite d’une expropriation pour cause d’utilité publique » ou « en vue de constituer des périmètres de colonisation ». Ces terres sont par la suite cédées aux colons sous forme de location généralement perpétuelle et même dans certains cas sous forme de vente.

Entre 1912 et 1932, les colons acquièrent, par l’achat des domaines privés et les concessions des terres domaniales et collectives, plus de 600 000 ha, situés essentiellement dans les plaines fertiles du Maroc français. Cette emprise économique de la France provoque de profonds bouleversements dans la société marocaine.

La colonisation des terres se traduit par un déplacement de la propriété au profit d’une minorité étrangère et au détriment de la population autochtone. Elle entraîne par voie de conséquence l’appauvrissement d’une partie des paysans marocains. Privés de leurs meilleures terres, ne pouvant pas résister à la concurrence des colons, qui exploitent leur domaine selon des techniques modernes, ceux-ci voient, en général, leurs conditions de vie se détériorer. Les artisans connaissent également des difficultés découlant du rétrécissement du marché rural et surtout de la concurrence des produits manufacturés européens qui répondent de plus en plus au goût des consommateurs. Cette situation se répercute sur les commerçants marocains, d’autant plus vulnérables qu’ils n’ont ni les facilités de crédit ni les techniques de gestion de leurs rivaux européens. Toutes ces couches sociales, lésées dans leurs intérêts, sont enclines à la contestation du système colonial et à la résistance à la domination étrangère. Mais il est évident que les réactions varient de degré d’une classe à l’autre.

La résistance existe, cependant, au Maroc depuis l’acte d’Algésiras. El-Hiba la conduit parmi les tribus du Sud de 1912 à sa mort, en 1919. Son frère et successeur poursuit alors la lutte jusqu’en 1934. La résistance connaît une plus grande ampleur parmi les tribus du Rif sous la direction de Abd el-Krim*. Celui-ci inflige en 1921 une défaite à l’armée espagnole et constitue un État indépendant sous la forme d’une « république confédérée des tribus du Rif ». Il ne succombe qu’en 1926, devant une coalition franco-espagnole, dirigée par le maréchal Pétain.


Le mouvement national marocain

Après la défaite d’Abd el-Krim et de la résistance des tribus, le mouvement se déplace dans les villes, pour prendre une forme nouvelle. On assiste alors à la naissance du nationalisme. Celui-ci trouve ses origines dans les profonds bouleversements provoqués par le protectorat. En effet, la mainmise de la France sur l’Empire chérifien contribue, par le développement des voies de communication, à atténuer le morcellement féodal d’autrefois, à faire du Maroc une entité économique et à estomper, grâce au brassage de la population qui s’ensuit, les différences de mentalité existant dans ce pays.

Dans ces conditions, la population prend conscience de sa personnalité et surtout de sa situation, qui ne cesse pas d’empirer depuis l’occupation du Maroc. Un sentiment de solidarité se développe parmi diverses couches sociales contre la minorité étrangère, accusée d’accaparer, à leurs dépens, la richesse nationale. D’autres facteurs d’ordre intellectuel et politique viennent se greffer sur cette toile de fond socio-économique pour donner toute sa consistance au nationalisme marocain. Ils découlent d’abord de la pénétration du salafisme et du panarabisme dans l’Empire chérifien. Le salafisme (salafiyya) est un courant réformiste qui, dans le dernier tiers du xixe s., particulièrement en Égypte, préconise, sous l’impulsion de Djamāl al-Dīn al-Afrhānī (1839-1897) et de Muḥammad ‘Abduh (1849-1905), de purifier l’islām du charlatanisme découlant des confréries religieuses et du culte des saints et de concilier la religion musulmane avec les idées modernes. Cette doctrine favorise la lutte contre les préjugés, les légendes et les illusions et permet de secouer la population de la torpeur dans laquelle la maintiennent les mouvements maraboutiques.

Parallèlement, les doctrines panarabes qui préconisent, sous l’influence de Chakīb Arislān (Chékib Arsalan, 1869-1946), la restauration de l’unité arabe permettent d’attirer l’attention sur le Proche-Orient alors en pleine fermentation politique et contribuent ainsi au développement de la conscience nationale. Ce sont ces deux courants, salafisme et panarabisme, qui constituent les ferments idéologiques du mouvement nationaliste marocain. Celui-ci commence à se manifester vers les années 1925. De multiples incidents opposent alors les jeunes nationalistes à l’administration.

En 1930, le mouvement prend une ampleur toute particulière à la suite de la promulgation du dahir, qui accorde aux tribus berbères la faculté d’appliquer leur droit coutumier non musulman. Considérée comme une entreprise des autorités du protectorat visant la division du Maroc, cette mesure provoque de violentes manifestations dans les principales villes du pays. Mené par une élite formée dans les collèges franco-musulmans, les universités françaises et la mosquée Qarawiyyīn de Fès, le mouvement rencontre l’adhésion des masses populaires et plus particulièrement celle des artisans et des boutiquiers, qui sont rudement touchés par la concurrence étrangère.

Jouissant de l’appui d’une fraction importante de la population, les jeunes nationalistes, qui aspirent à jouer un rôle important dans la direction de leur pays et auxquels le régime colonial ne réserve que des emplois subalternes, entament alors une phase — qui se révélera longue et difficile — de conception et d’organisation. Il s’agit d’élaborer un programme de revendications politiques, de mettre sur pied des structures, pour intéresser l’opinion publique française au problème marocain, élargir l’audience du mouvement et constituer ainsi des moyens de pression sur les autorités coloniales.