Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

mariage (suite)

Cet « accomplissement » revêt évidemment des formes différentes suivant l’idéal de chacun, mais, quel qu’il soit, les exigences des conjoints, leurs attentes sont beaucoup plus élevées qu’autrefois. C’est que la famille leur apparaît souvent comme le seul lieu possible des relations authentiques avec autrui. Tout se passe comme si la plus grande part de l’affectivité avait reflué vers la vie conjugale et dans l’intimité du foyer. Le mariage, malgré la permanence des règles d’homogamie, devient le lieu privilégié, sinon unique, où l’individu vit sa véritable histoire et trouve son identité. Jamais le mariage n’avait rempli pour l’homme une fonction semblable. Mais cette extrême valorisation le rend du même coup très vulnérable. Comment supporter l’échec de ce qui est essentiel ? Réussite ou échec de l’union, c’est le sujet, et lui seul, qui en juge. C’est lui aussi qui décide éventuellement d’y mettre un terme.

La crise du mariage, toujours annoncée, jamais survenue, certains en voient les premiers symptômes dans la modification assez brusque des indices de nuptialité, en France et dans certains pays d’Europe depuis 1965 : diminution de l’intensité, fréquence plus grande du divorce, augmentation du nombre des « unions juvéniles ». Mais rien ne permet d’affirmer à partir de l’observation des données qu’une mutation de la nuptialité soit probable et imminente. Un problème nouveau se pose pourtant désormais : le mariage peut-il être fondé, pour l’essentiel, sur la réussite de la vie affective du couple ? La réponse à cette question sera décisive. À terme, plus ou moins proche, une évolution semble de toute façon probable, dont il n’est encore possible ni de prévoir l’ampleur, ni même de connaître le sens. On peut seulement se demander si elle aboutira à une précarité plus grande des unions, c’est-à-dire seulement à une augmentation du nombre des divorces, ou à une remise en question de l’institution elle-même.

H. R.

 H. Schelsky, Soziologie der Sexualität (Hambourg, 1956, nouv. éd., 1964 ; trad. fr. Sociologie de la sexualité, Gallimard, 1966). / P. Ariès, l’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime (Plon, 1960). / P. Bourdieu, « Célibat et condition paysanne » dans Études rurales (1962). / Les Changements dans les structures familiales, numéro spécial de la Revue internationale des sciences sociales (Unesco, 1962). / A. Girard, le Choix du conjoint (P. U. F., 1964). / W. J. Goode, The Family (Englewood Cliffs, N. J., 1964). / Famille, mariage, divorce, numéro spécial de Population (I. N. E. D., 1971). / A. Michel, Sociologie de la famille et du mariage (P. U. F., 1972).


Histoire du mariage

Le droit romain présente cette singularité qu’il a connu deux sortes de mariage : le mariage cum manu, qui faisait tomber la femme sous la manus du mari ou du paterfamilias du mari si celui-ci était alieni juris : (elle prenait la place d’une fille dans la famille de son mari et était considérée comme la sœur de ses enfants), et le mariage sine manu, par lequel la femme n’entrait pas dans la famille de son mari et restait sous la puissance de son propre paterfamilias : il n’y avait aucun lien entre la mère et ses enfants, qui faisaient partie de deux domus différentes.

Alors que la formation du mariage cum manu répondait à certaines solennités, notamment la présence de témoins, le mariage sine manu se formait par le seul consentement des époux. Toutefois, pour se distinguer du simple concubinat, il était entouré de réjouissances et s’accompagnait généralement d’une constitution de dot. L’autorité publique n’intervenait dans aucune de ces formes de mariage.

Alors que le mariage cum manu était indissoluble, le mariage sine manu pouvait se dissoudre par le divorce.

Le mariage cum manu a progressivement cédé du terrain au fur et à mesure du développement du droit romain, et dans les derniers siècles de Rome seul le mariage sine manu était pratiqué. Par voie de conséquence, les mœurs s’étant par ailleurs relâchées, le divorce y devenait de plus en plus fréquent et les empereurs chrétiens eux-mêmes n’osèrent pas le supprimer.

Le mariage, devenu consensuel, en resta là pendant de longs siècles. Aucun écrit n’était nécessaire. « Boire, manger et coucher ensemble » selon le dicton d’Antoine Loisel (1536-1612) suffisait à assurer la possession d’état d’époux. La constitution d’une dot évidemment constituait une preuve plus matérielle. Cependant, l’Église, qui fut longtemps seule à légiférer sur le mariage et à juger les causes matrimoniales (les tribunaux laïques conservant toutefois le règlement des questions d’ordre pécuniaire nées du mariage), avait érigé le mariage en sacrement et proscrit le divorce. Elle chercha dès lors à faire respecter le lien conjugal en entourant sa formation de solennités et de publicité. En 524, le concile d’Arles exigea une dot et des noces publiques : la célébration d’une messe et la bénédiction du prêtre étaient toutes désignées pour servir de formes au mariage. À partir du xe s., les canons des conciles qui exigent la célébration publique du mariage deviennent fréquents. En 1563, le concile de Trente adopte un décret selon lequel un mariage est nul s’il n’a pas eu lieu à l’église en présence du propre curé des époux, et le pape Pie IV (1559-1565) ouvre des négociations avec les États catholiques pour obtenir la publication officielle des décrets du concile. Le roi de France, qui cherche à reconquérir le terrain perdu et à reprendre la juridiction sur les causes matrimoniales, refuse la publication officielle des décrets du concile, mais introduit une règle nouvelle par une ordonnance, l’ordonnance de Blois de 1579, portant que le mariage doit être célébré devant le curé paroissial, après publication des bans et en présence de quatre témoins dignes de foi, le tout subordonné aux peines prévues par les saints conciles. Les mariages non solennels étaient déclarés nuls par l’Église et les tribunaux laïques, les parlements ne prenaient connaissance des affaires relatives au mariage que par la voie de l’appel comme d’abus. Dès avant cette date cependant, ils avaient réussi à s’emparer des affaires relatives à la séparation de corps sous prétexte qu’ils étaient habilités à connaître des questions d’ordre pécuniaire qui naissent du mariage et que la séparation de personnes entraîne la séparation de biens.