Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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mariage (suite)

Robert Francis Winch estime que c’est la complémentarité des personnalités qui est décisive. Suivant d’autres, c’est plutôt la ressemblance qui expliquerait la sélection. On comprend bien que les mobiles inconscients du choix soient beaucoup plus complexes. Intervient en définitive toute l’histoire des sujets, en particulier celle des réactions aux premières images parentales. C’est dire que les motivations sont toujours singulières et ne deviennent intelligibles qu’à travers la biographie singulière de chaque sujet. Si imprécises que soient nos connaissances sur ces ajustements, il est clair que, psychologiquement, tous les choix ne sont pas possibles, et que l’histoire affective limite, comme les contraintes extérieures, l’élection définitive du conjoint.


Le divorce

Sous des formes diverses et avec des fréquences plus ou moins grandes, le divorce existe depuis longtemps dans beaucoup de sociétés. Il a été introduit en France au moment de la Révolution. Aboli sous la Restauration, il a été rétabli par la loi Naquet de 1884. Dans l’esprit du législateur, il s’agissait là d’un recours exceptionnel, dont l’objectif était de sanctionner le conjoint coupable.

Une mesure précise de l’intensité du divorce suppose des données statistiques très fines. Faute d’en disposer, on se contente le plus souvent de rapporter le nombre des divorces d’une année à l’ensemble de la population des femmes mariées. Cet indice est évidemment sensible aux crises historiques : peu de divorces en période de guerre, multiplication des ruptures en temps de paix. Si l’on élimine ces variations conjoncturelles, on constate qu’en France l’intensité du divorce, après avoir augmenté assez rapidement, s’est stabilisée après 1925. On observait alors environ 27 divorces annuels pour 10 000 femmes mariées ; environ 9 p. 100 des unions étaient ainsi rompues. Or, on retrouvait vers 1963 des valeurs très proches. Depuis cette date, l’intensité du divorce tend à croître. En 1970, le taux de divortialité était de 34 p. 10 000 femmes mariées ; cette fréquence correspondait à la rupture de 12 p. 100 environ des mariages contractés. Ces valeurs sont inférieures à celles que l’on observe généralement dans les pays européens non méditerranéens. Elles sont beaucoup plus faibles que les indices enregistrés aux États-Unis, où l’on trouve 130 divorces annuels environ pour 10 000 femmes mariées et à peu près 1 union sur 3 rompue par le divorce.

Les facteurs de la divortialité sont mal connus. On observe une certaine corrélation entre précocité du mariage et probabilité de divorce. On suppose aussi qu’une forte hétérogamie sociale ou un écart d’âge important sont des facteurs non négligeables. On observe dans les « classes moyennes » des taux plus élevés à la fois que ceux des ouvriers et ceux des cadres supérieurs. Il est certain aussi que le comportement de la femme ayant une activité professionnelle est différent de celui des épouses inactives. L’attitude religieuse intervient également. Mais ce sont là des directions de recherches, bien plus que des conclusions définitives ou des explications satisfaisantes.


Crise du mariage ?

« Le mariage, avec le temps, comme tout le reste, est devenu problématique », écrivait déjà Thomas Mann en 1925. Depuis lors, les prophètes n’ont pas manqué qui annonçaient pour une date prochaine une crise profonde de l’institution. Pourtant, l’évolution des indices de nuptialité depuis un demi-siècle ne présente, comme on l’a vu, rien qui soit particulièrement inquiétant. Étrange crise en vérité, qui se traduirait par une intensité et une précocité jamais atteintes jusqu’ici. La fréquence du divorce, elle-même, ne paraît guère menacer le mariage, puisque bon nombre de ruptures aboutissent à une nouvelle union. Et n’est-ce pas une observation rassurante que la permanence pour ainsi dire spontanée des règles d’homogamie dans le choix du conjoint ?

Mais les variations d’indices enregistrées depuis le début du siècle sont peut-être plus décisives qu’il y paraît d’abord. Que 90 p. 100 des hommes se marient entraîne une certaine marginalité pour ceux qui restent célibataires. Dans une population où la nuptialité est si intense, ceux-ci risquent de faire figure sinon d’anormaux, du moins de suspects.

La plus grande précocité du mariage, de son côté, entraîne, elle aussi, des conséquences importantes. Le rajeunissement de deux ou trois années de l’âge du mariage signifie qu’une proportion importante de jeunes se marie dès le terme de l’adolescence, sans avoir toujours atteint ni la maturité psychologique ni l’autonomie économique. À 18 ans ou à 20 ans se décident ainsi des unions dont la durée, du fait de l’allongement de l’espérance de vie, peut désormais atteindre facilement un demi-siècle. Dans la vie du ménage, après le mariage des enfants, il reste une longue période de vie commune en tête à tête : ce changement, parfois très brusque, suppose de la part des époux la recherche, parfois difficile, d’un nouvel équilibre. Une telle situation, il y a seulement un siècle, n’existait que rarement et pour une durée généralement brève.

Enfin, la possibilité de rompre une union par le divorce modifie la nature du lien conjugal. Sans doute, au moment du mariage, la plupart des époux considèrent-ils leur union comme définitive, mais, si des difficultés graves surgissent par la suite, la possibilité d’un divorce modifie, de toutes manières, leurs réactions.

L’analyse de ces indices, malgré certaines ambiguïtés, semble s’ajuster à des données qualitatives connues par ailleurs. On sait en effet que l’émancipation des jeunes gens n’est plus liée aujourd’hui au mariage. Aussi bien pour le garçon que pour la fille, elle le précède bien souvent. D’autre part, dans le couple, entre l’homme et la femme, les relations sont plutôt d’égalité que de hiérarchie ; juridiquement au moins, il n’y a plus de « chef de ménage ». S’il est vrai que l’homogamie reste de règle, elle n’est plus guère motivée par le souci d’une alliance destinée à maintenir et à transmettre le patrimoine. La « reproduction » reste bien le résultat du mariage, mais elle a cessé d’en être la finalité première, du moins dans la conscience claire des conjoints. Ce qui est avant tout visé, c’est l’épanouissement mutuel des époux et le bonheur du couple.