Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

maniaco-dépressive (psychose) (suite)

En fait, il est des formes très différentes de mélancolie, qui sont souvent très difficiles à reconnaître :
— mélancolie anxieuse sans aucune inhibition, mais, au contraire, avec agitation, instabilité motrice, angoisse aiguë surtout matinale, plaintes somatiques hypocondriaques, aspect faussement théâtral avec cris et gémissements, grand danger de suicide ;
— mélancolie délirante avec idées de persécution, idées hypocondriaques parfois complètement absurdes, auto-accusation forcenée ;
— mélancolie à forme confusionnelle avec stupeur, inertie complète, mutisme, refus d’aliments ;
— mélancolie à forme atténuée pseudo-névrotique, où dominent des symptômes peu caractéristiques : asthénie, aboulie, anxiété, autodépréciation vague ;
— mélancolies monosymptomatiques, qui se résument pendant quelques mois à une impuissance sexuelle, une insomnie tenace, une asthénie inexplicable, des céphalées isolées, etc.

Hormis le cas de la mélancolie anxieuse, les malades montrent une grande sobriété d’expression, leurs propos sont rares et toujours centrés sur un même thème (monoïdéisme triste), les idées de suicide sont souvent dissimulées à l’entourage. Il est fréquent de noter l’absence de cause déclenchante réelle extérieure valable au moment du début de la dépression, le contraste entre une personnalité auparavant bien adaptée et un état psychique extraordinairement perturbé au moment de l’accès, l’absence d’un appel à l’aide de la part du malade (contrairement au déprimé névrotique) et fréquemment la conviction de n’être pas vraiment malade (méconnaissance de l’état pathologique) ou d’être absolument incurable (certitude d’incurabilité).

La mélancolie apparaît donc comme une crise incompréhensible ou très mal expliquée par des motifs psychologiques extérieurs, une rupture étonnante dans le comportement habituel du sujet. Il faut se méfier des explications pseudo-psychologiques que peuvent donner les familles ou l’entourage à propos de ce genre d’état dépressif. Il est rare que les avatars, les traumatismes, le surmenage inévitable de l’existence quotidienne ne fournissent pas un semblant de justification à la dépression. En réalité, la mélancolie est un dérèglement endogène, intérieur de l’humeur. Les antécédents héréditaires sont très fréquents chez ces malades. L’expérience montre que l’erreur la plus commune consiste à confondre une dépression mélancolique avec une dépression réactionnelle ou névrotique dites « psychogènes ». L’erreur se fait en général dans le sens de la méconnaissance de la mélancolie au profit de la dépression névrotique banale, si répandue actuellement. La vérité peut éclater plus tard à l’occasion d’un accès d’excitation maniaque, qui permet d’affirmer l’existence d’une psychose maniaco-dépressive authentique chez un malade considéré antérieurement comme un névrosé ou un déprimé banal.


Les causes de la psychose maniaco-dépressive

Elles sont encore mal connues. Néanmoins, il semble bien s’agir d’une maladie nerveuse fonctionnelle en rapport avec un trouble biochimique qui reste à préciser. Cette psychose est le type même des maladies mentales « endogènes », c’est-à-dire non ou insuffisamment expliquées par des causes psychologiques extérieures, par des facteurs de milieu. Tout se passe comme si le trouble se développait à l’intérieur même de la sphère neuropsychique du sujet, sans que les événements existentiels de l’enfance et de l’âge adulte ne jouent un rôle primordial. À l’appui de cette hypothèse endogène du trouble interviennent les arguments héréditaires ou génétiques. En effet, tous les observateurs ont été frappés par le pourcentage élevé de manies ou de mélancolies dans les antécédents familiaux des sujets atteints eux-mêmes de psychose maniaco-dépressive. Ces antécédents se retrouvent chez les ascendants directs, les collatéraux, les descendants. Parfois, il faut remonter à deux générations pour retrouver des antécédents de ce type. Enfin, l’efficacité démontrée depuis ces dernières années des sels de lithium comme thérapeutique curative et préventive des vraies psychoses maniaco-dépressives constitue un argument d’une importance capitale en faveur d’un trouble biologique cérébral.

Depuis longtemps aussi, on sait que la dépression mélancolique guérit surtout grâce aux médicaments antidépresseurs et, encore bien souvent, grâce aux électrochocs ou aux électronarcoses. La psychothérapie psychanalytique est absolument impuissante à guérir un malade en pleine mélancolie ou en plein accès maniaque. Seules les thérapeutiques biologiques ont fait leurs preuves dans le domaine des phases aiguës de la psychose maniaco-dépressive. Pourtant, les psychanalystes ont toujours insisté chez ces malades sur l’impact de certains traumatismes psychologiques comme cause déclenchante de certains accès. Ainsi, Freud* a très subtilement étudié le cadre des mélancolies ou même des manies de deuil. Tout une littérature psychodynamique a tenté de donner à la notion de « perte d’objet » une valeur primordiale. De même, des analyses en profondeur de la personnalité des maniaco-dépressifs ont essayé de montrer une fragilité psychologique acquise de l’individu au contact du milieu parental dès les premières années, voire les premiers mois de la vie, au stade oral du développement psychoaffectif. Cette fragilité apparaîtrait notamment dans le vécu des premières relations d’objet. En fait, aussi fines que soient ces études psychopathologiques, elles n’apportent pas une explication satisfaisante des psychoses maniaco-dépressives. Il faut reconnaître que les chatoyants reflets appréhendés par les psychanalystes ne manquent pas de séduction, notamment dans le domaine privilégié des mélancolies de deuil. Mais, pour la plupart des malades, quand les accès se répètent à intervalles plus ou moins rapprochés dans une sorte de caprice évolutif tragique, sans cause extérieure valable ou pour des motifs dérisoires, il faut chercher les explications premières dans un désordre biochimique cyclique du système nerveux. De nombreuses expérimentations animales, des stimulations faites au cours d’interventions neurochirurgicales, certaines constatations de la pathologie cérébrale lésionnelle suggèrent que l’humeur, les instincts ou les pulsions dépendent d’un vaste système, d’un ensemble fonctionnel complexe englobant l’hypothalamus, le rhinencéphale, les lobes frontaux et probablement aussi certains noyaux gris centraux du cerveau. Du point de vue biochimique, le métabolisme des amines cérébrales est indiscutablement pathologique au cours des accès thymiques, et les études de ces dernières années sont une approche de plus en plus fine du mode d’action des antidépresseurs dans les mélancolies. Dans l’avenir, les recherches s’orienteront vers l’élucidation des désordres de la biochimie moléculaire à l’échelon de certains groupes de neurones ; c’est à la fois dans l’intimité du métabolisme de la cellule, de sa perméabilité membranaire, de son équipement enzymatique, mais aussi dans les modalités de la transmission synaptique (transmission de l’influx nerveux de cellule à cellule) au sein de circuits complexes reliant les différentes structures citées ci-dessus que l’on découvrira les secrets de la psychose maniaco-dépressive. Il faudra aussi préciser les intermédiaires qui existent entre les faits génétiques constatés par tous les auteurs et l’éclosion des cyclothymies.