Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Malaysia (suite)

L’islamisation et l’essor de Malacca

Les xiiie et xive s. voient d’une part la formation de la grande thalassocratie javanaise de Majapahit, d’autre part l’installation des Thaïs dans la plaine du Ménam. La péninsule va se trouver prise entre les deux sphères d’influence. Plusieurs toponymes comme Kĕda, Kalantĕn, Tringgano, Pahang, Kĕlang, Tumasik figurent dans la célèbre liste des « États tributaires » de Majapahit, conservée dans le texte du Nāgarakĕrtāgama (1365), ce qui prouve qu’une partie des comptoirs de la péninsule étaient alors dans l’orbite de Java.

Un nouveau facteur va jouer néanmoins, l’islām, attesté dès la fin du xiiie s. dans les ports du nord de Sumatra et dès le début du xive s. dans la région de Trengganu, en péninsule, où l’on a retrouvé une inscription en malais et en caractères arabes, dont la date a été interprétée de façon certaine par le professeur Naguib Al Attas comme étant 702 de l’hégire, c’est-à-dire 1303 apr. J.-C. Cette nouvelle idéologie se répand dans les ports, où une population nombreuse de marchands et d’intermédiaires développe une mentalité différente de celles des agriculteurs de l’intérieur et cherche à s’affranchir de la suzeraineté du roi de Majapahit.

Vers le début du xve s., un prince originaire de Palembang, Parameśwara, cherche à se dérober à l’autorité de Java, passe en péninsule, s’installe à Tumasik (à proximité de la future cité de Singapour), puis fonde une ville neuve à Malacca. Très vite, le nouveau port prend de l’importance et devient le carrefour de tout l’Extrême-Orient. C’est le moment où les empereurs Ming envoient vers les « mers du Sud », vers l’océan Indien et jusque vers les côtes de l’Afrique de grandes expéditions commerciales ; le chef de ces expéditions, l’eunuque Zheng He (Tchen-Ho), lui-même musulman, prête main forte aux souverains de Malacca et les aide à se désengager de la menace siamoise, qui restera désormais constante à la frontière nord de la péninsule. À noter que Zheng He a été héroïsé et fait l’objet d’un culte dans plusieurs temples chinois d’Asie du Sud-Est, et notamment à Malacca (sous le nom de Sampo).

Dès 1419, le prince de Malacca se convertit à l’islām et prend le titre de sultan ; on utilisera toutefois encore de temps à autre le vieux titre « indianisé » de mahārājā, qui rappelait les grandeurs de Śrīvijaya. Le sultanat connaît son apogée sous Mansur Shah (Manṣūr Chāh) [1459-1477] et sous Ala ud-Din Riayat Shah (‘Alā’ al-dīn Ri‘āyat Chāh) [1477-1488]. À proximité du palais où le sultan tient sa cour, de l’autre côté de la rivière qu’enjambe un grand pont en bois bordé de galeries marchandes, se trouvent les divers kampung, ou « quartiers », où les marchands étrangers se regroupent selon leur origine : Pégouans, Tamouls, Bengalis, Javanais, Chinois... Dans le paysage de la Malacca d’aujourd’hui, il ne reste pratiquement rien de cette grandeur passée et, pour la restituer, il faut se reporter aux descriptions émerveillées que nous ont laissées les premiers voyageurs européens et notamment portugais (cf. la Suma Oriental, rédigée par Tomé Pires vers 1520).

Sur le plan culturel, les marchands et les nobles de Malacca restaient étroitement liés avec les communautés urbaines de la côte sumatranaise d’en face. C’est alors une seule et même culture qui se développe des deux côtes du détroit ; nous savons par exemple comment, sous Mansur Shah, on envoya une ambassade à Pasai avec de somptueux présents afin d’obtenir des sages docteurs de l’endroit une réponse à un point de métaphysique qui restait sans solution. La langue malaise, désormais écrite en écriture arabe, sert à la rédaction de longs poèmes, shair (ou syaïr), et d’œuvres en prose (kikayat), que l’on récite dans les grandes occasions.

En 1511, la ville tombe sous les coups des Portugais d’Albuquerque*, et restera désormais aux mains des Occidentaux (passant sous l’autorité des Hollandais en 1641, puis sous celle des Anglais en 1795) ; mais cela ne signifie nullement que l’Europe ait imposé sa loi dans la région des détroits.


L’épanouissement des sultanats malais (xviie-xviiie s.)

En effet, pendant plus de deux siècles encore, l’essentiel du grand commerce d’Inde en Chine restera aux mains de marchands asiatiques, d’origines très diverses, mais pour une bonne part musulmans et malayophones, qui maintiendront le réseau de leurs échanges entre les divers comptoirs du « monde malais » ; entre les deux grands royaumes, agricoles et centralisés, de Siam et de Java, se développe toute une série de petits sultanats, dont l’existence dépend étroitement du commerce.

La péninsule fait encore figure de pays neuf ; nombreux sont les immigrants qui viennent y défricher la forêt ; nombreux sont les aventuriers qui viennent chercher fortune dans ses ports. Depuis Sumatra, le mouvement migratoire ne fait que s’intensifier : Malais de Palembang ou de Jambi, mais aussi Minangkabaus de l’intérieur, qui se fixent plus particulièrement au nord de Malacca, dans la région de Negri Sembilan, et conservent leurs coutumes originales ; ils garderont jusqu’à nos jours d’étroits contacts avec la société minangkabau de Sumatra. Une autre région de l’archipel contribue alors aussi au peuplement de la péninsule : le sud-ouest de la grande île de Célèbes*, ou pays Bougi ; les Bougis sont d’excellents marins dont les grands voiliers se retrouvent dans tous les ports de l’Asie du Sud-Est et qui nous ont laissé un code maritime très précis, datant du xviie s. Plusieurs d’entre eux s’installèrent dans le Selangor et, plus au sud, dans le Johore et dans l’archipel de Riau. Mentionnons encore les provinces méridionales de la Chine, qui continuent à fournir un nombre important de pionniers, marchands ou artisans, et même souvent mineurs (mines d’or de Bornéo et, un peu plus tard, mines d’étain de la péninsule). La future Malaysia acquiert ainsi l’aspect cosmopolite qui sera le sien désormais : juxtaposition de groupes ethniques très divers, acceptant généralement sans histoire l’autorité des sultans, dans la mesure où ceux-ci garantissent l’ordre nécessaire à la bonne marche des affaires, et utilisant tous le malais comme langue de relation.