Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Maistre (Joseph de) (suite)

Expulsé de Lausanne sous la pression du Directoire, il passe à Turin (1797), puis rejoint Charles-Emmanuel IV en Sardaigne (1799). De 1802 à 1817, il est ministre de Sardaigne à Saint-Pétersbourg, où il se lie avec Alexandre Ier, dont il voudrait faire — par l’intermédiaire des Jésuites — un lien vivant entre l’Église romaine et les Églises d’Orient. L’illuminisme du tsar n’est pas sans attirer un homme qui, dès sa jeunesse, a fréquenté les illuminés du Siècle des lumières. Mais l’échec d’une « Europe » qui se serait mise au service d’une grande idée unificatrice, centrée sur la monarchie de droit divin, rejette peu à peu de Maistre vers l’ultramontanisme : l’Église romaine et le pape lui paraissent les seules forces capables de s’opposer au flot destructeur des idées révolutionnaires.

Sa pensée, de Maistre l’exprime notamment dans son Essai sur le principe générateur des constitutions politiques et des autres institutions humaines (1810), puis, après son départ de Russie et sa rentrée en Savoie, dans Du pape (1819), De l’Église gallicane dans son rapport avec le souverain pontife (1821), les Soirées de Saint-Pétersbourg ou Entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence (posthume, 1821), Examen de la philosophie de Bacon (posthume, 1836). Ces ouvrages témoignent d’une grande noblesse d’inspiration, de la profondeur lucide d’une foi adulte et d’un style pressant et racé. À partir de 1858, on a publié la correspondance diplomatique et les Mémoires politiques de Joseph de Maistre, dont l’un des derniers mots fut « Je meurs avec l’Europe. » S’excusant d’avoir trop tardé à parler de lui, Sainte-Beuve écrira : « Je reculais toujours. En face d’un tel athlète, quelque crainte était bien permise sans trop de déshonneur. »

P. P.

 G. Goyau, la Pensée religieuse de Joseph de Maistre (Perrin, 1921). / J. Lacroix, Vocation personnelle et tradition nationale (Bloud et Gay, 1942). / F. Bayle, les Idées politiques de J. de Maistre (Domat, 1945). / R. Triomphe, Joseph de Maistre (Droz, Genève, 1968).

Majorque (royaume de)

État éphémère, qui fut détaché du royaume d’Aragon aux xiiie-xive s.


Au début du xiiie s., l’île de Majorque est le siège d’un petit royaume musulman rebelle à l’autorité almohade, mais prospère par son agriculture et surtout par son commerce maritime, animé par les marchands génois et pisans de Palma. C’est alors qu’en 1229 le roi d’Aragon Jacques Ier le Conquérant l’arrache définitivement à l’islām.

Le royaume de Majorque est créé en 1262 par Jacques Ier en faveur de son fils cadet Jacques, mais devient réellement indépendant en 1276 à la mort du souverain. Il comprend en fait Majorque, Ibiza, la seigneurie de Montpellier et les comtés de Cerdagne et de Roussillon, où la monnaie et les usatges de Barcelone doivent être respectés. Il perd son indépendance lorsque son souverain Jacques II (ou Ier) [de 1276 à 1311] doit se déclarer feudataire de son frère aîné, l’ambitieux roi d’Aragon Pierre III. Aussi le roi de Majorque s’allie-t-il en 1285 à Philippe III le Hardi, roi de France, et à son fils Charles de Valois, auquel le pape Martin IV a attribué en mai 1284 les États de la couronne d’Aragon.

La croisade d’Aragon ayant échoué, le royaume de Majorque est réuni à celui d’Aragon de 1285 à 1295. Cette annexion est confirmée en 1288 par le traité de Canfranc, mais elle est annulée en 1295 par la paix d’Anagni, qui ne devient définitive qu’en 1298 et qui laisse en outre à Jacques II l’île de Minorque, conquise en 1285 par Alphonse III d’Aragon.

Adhérant dès lors à la politique expansionniste de la branche aînée de la famille, aussi bien aux dépens des musulmans (siège d’Almería en 1310) que des Sardes, Sanche Ier de Majorque (de 1311 à 1324) reste pourtant fidèle à l’alliance du roi de France, dont il est le vassal pour Montpellier, à celle du pape et à celle du roi de Naples.

Faute d’héritiers mâles, il lègue son trône à son neveu le jeune Jacques III (ou II) [de 1324 à 1343]. Sous la tutelle de son oncle, Philippe de Majorque d’abord, puis avec les conseils de son beau-père, le roi d’Aragon Alphonse IV, le troisième roi de Majorque bénéficie de la paix favorable à la promulgation de Lois palatines, qui dotent sa cour de Palma d’une solide structure administrative (l’Hôtel, le Garde-Robe, la Chancellerie, les Finances). Le royaume connaît alors un grand essor économique, qui se marque par le développement des industries du drap et du cuir à Perpignan et surtout par la croissance des activités maritimes (cocas de Majorque) et marchandes de Palma, animées par les chrétiens et par les juifs, qui y constituent des « sociétés de tous biens » (comus) de type catalan et qui y facilitent l’essor d’une grande école de cartographie. En liaison avec les communautés israélites de Barcelone, de Tlemcen et de Sidjilmāsa, les juifs font du grand port majorquin la plaque tournante du trafic de l’or du Soudan. Ainsi se trouve facilitée d’abord la contrefaçon à Montpellier, entre 1259 et 1273, des pièces d’or musulmanes, les dirhems, par Jacques Ier, roi d’Aragon, puis l’émission, dès 1310, du reial d’or à Majorque, qui consacre l’étonnante prospérité de l’île et du royaume. Cette prospérité se traduit sur le plan monumental et artistique par l’érection de la cathédrale de Palma, des châteaux de Perpignan et de l’Almudaina de Palma, dont le style gothique s’allie à une décoration de tradition méditerranéenne (loggias, portiques, etc.).

Accueillante d’ailleurs à la peinture siennoise et florentine, Palma de Majorque est le lieu privilégié où vit au début du xive s. Raymond Lulle*, poète mystique, arabisant et cosmographe, dont le génie se nourrit de l’apport des spiritualités juive, chrétienne et musulmane.

Pierre IV d’Aragon le Cérémonieux, jaloux d’un tel épanouissement, s’empare en 1343-44 du royaume de Majorque, que Jacques III tente en vain de reconquérir en 1349, après avoir cédé à la France la directe de Montpellier et de Lattes pour 120 000 livres d’or. Vaincu et tué alors à Lluchmayor, ce dernier laisse à son fils Jacques IV (ou III) une inutile couronne sans royaume.

P. T.

➙ Aragon / Baléares / Barcelone / Catalogne / Espagne / Roussillon.

 J. B. Dameto, V. Mut et G. Alemany, Historia general del reino de Mallorca (Palma, 1840-41 ; 3 vol.). / J. Rey Pastor et E. García Camarero, Cartografía mallorquina (Madrid, 1960). / M. Durliat, Histoire du Roussillon (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1962 ; 2e éd., 1969) ; l’Art dans le royaume de Majorque (Privat, Toulouse, 1962).