Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Mahler (Gustav) (suite)

Avec son accession en 1897 au poste de directeur de l’Opéra de Vienne, Mahler aborda l’étape la plus prestigieuse de sa carrière officielle. Ne ménageant ni lui-même ni les autres, il se fit des partisans dévoués et des ennemis acharnés ; d’où ses triomphes et ses échecs. En 1902, son mariage avec Alma Schindler fut un tournant dans sa vie. Avec le peintre Alfred Roller (1864-1935), collaborateur de premier plan, il réalisa de 1904 à 1907 ses plus grandes mises en scène (Gluck, Mozart, Beethoven, Wagner), fondant ainsi la renommée future de l’établissement. Alors furent composés la populaire, mais inquiétante 4e symphonie (1899-1900), avec final pour soprano et orchestre sur une poésie du Wunderhorn, la romantique 5e (1901-02), la grandiose et tragique 6e (1903-1905), et la fascinante 7e (1904-05), qui forment une trilogie purement instrumentale, la problématique 8e (1906-07), entièrement pour soli, chœurs et orchestre, en deux parties, fondées l’une sur le Veni Creator, l’autre sur la fin du Second Faust de Goethe, ainsi que deux cycles de lieder (1901-1904) sur des poèmes de Friedrich Rückert (1788-1866), dont les poignants Kindertotenlieder (Chants pour des enfants morts). Parallèlement, Mahler s’engagea franchement, sans toujours l’approuver complètement sur le plan artistique, en faveur du jeune Schönberg. En 1907, trois « coups du destin » le frappèrent : perte, à la suite notamment d’attaques ouvertement antisémites, de sa situation à Vienne ; disparition de sa fille aînée ; découverte chez lui d’une maladie de cœur incurable. Appelé par le directeur du Metropolitan Opera, Mahler passa quatre années de suite (1907-1911) l’automne et l’hiver à New York, le printemps et l’été en Europe, où il termina en 1908 Das Lied von der Erde (le Chant de la terre) sur des poèmes traduits du chinois et en 1910 la 9e symphonie. En 1910, une grave crise conjugale, qui nécessita une consultation chez Freud, fut une des causes de l’inachèvement de la 10e. Mais sur ces entrefaites (sept. 1910), la création à Munich de la 8e, dite à tort des Mille, lui valut en tant que compositeur son plus grand succès (les trois dernières partitions sont posthumes). Victime en Amérique (févr. 1911) d’une angine à streptocoques, ramené d’urgence en Europe, Mahler mourut à Vienne le 18 mai 1911, sur une dernière parole (Mozartl) adressée à Alma, dirigeant du doigt un orchestre invisible.

Exception faite d’essais de jeunesse, pour la plupart perdus ou détruits, de quatorze lieder avec piano et de Das klagende Lied, où, dès l’âge de vingt ans, il sut trouver son style propre, Mahler ne laisse que les dix symphonies et les cinq cycles de lieder énumérés ci-dessus. Techniquement et spirituellement, ces deux pôles créateurs sont unis sans aucun déchet par des liens nombreux et profonds qui ne se limitent pas aux quatre symphonies faisant appel aux voix. Les symphonies se citent parfois mutuellement, d’avance ou sous forme de rappel, mais elles diffèrent beaucoup par leur structure, le nombre et la nature de leurs mouvements, leur plan tonal, leur message. Par son instrumentation claire et tranchante malgré les effectifs employés, par son exploration des limites du monde tonal (9e et 10e), par ses superpositions polyphoniques impitoyables (6e et 7e), par son usage constant mais varié des appels militaires, de la marche et des bruits, par son goût du trivial et du plébéien, par sa façon en apparence iconoclaste et en réalité fort lucide de considérer le passé, Mahler (qui ne surgit pas pour rien du même milieu culturel que Freud et Kafka) conduit non seulement à Schönberg et à Berg, ses successeurs immédiats, mais aussi et surtout à la musique d’aujourd’hui, dont, avec son contemporain Debussy*, il constitue la source. Il se comparait volontiers à Richard Strauss*, son cadet de quatre ans, en le définissant comme un Grand Actuel et en se définissant lui-même comme un Inactuel (au sens donné à ces termes par Nietzsche) : « Je suis trois fois apatride. Comme natif de Bohême, en Autriche ; comme Autrichien, en Allemagne ; comme Juif, dans le monde entier. Partout un intrus, nulle part désiré ! » À cette formule s’en oppose une autre, qu’il aimait aussi répéter : « Mon temps viendra ! » Or, ce temps est venu. Cela dit, par son amour du populaire, les racines littéraires ou non de son inspiration et parfois sa technique, Mahler est aussi l’héritier du romantisme d’un Weber* ou d’un Schumann*. L’essentiel, pour bien situer cet artiste avec qui disparut la symphonie viennoise inaugurée par Haydn*, est de saisir que, de ce dualisme, de ces variations perpétuelles sur le thème du sublime et du banal, de l’idéalisme et du réalisme, du recherché et du naïf, du sérieux et de l’ironie, du lied et de la symphonie, du xixe s. et du xxe s., sa musique unit les éléments, mais en les magnifiant tous et sans jamais les fondre. Car, disait-il encore, « une œuvre dont on voit les limites respire une odeur de mort, chose qu’en matière d’art je ne saurais en aucun cas supporter ».

M. V.

 T. W. Adorno, Mahler (Francfort, 1960 ; 2e éd., 1969). / M. Vignal, Mahler (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1966). / K. Blaukopf, Gustav Mahler (Vienne, 1969).

Mahomet

En arabe Muḥammad, fondateur de la religion musulmane (La Mecque v. 570, 571 ou 580 - Médine 632).



Introduction

L’islām le considère comme un « envoyé » (rasūl) de Dieu, un prophète (nabi) venu enseigner aux hommes, par la volonté divine, un certain nombre de vérités et de préceptes bienfaisants. Le choix par Dieu de cet homme-là implique normalement qu’il est doté de charismes éminents. Cependant, l’islām moyen voit en lui un homme et nullement une émanation de la divinité comme Jésus pour les chrétiens — hormis quelques sectes.

Cependant, si le nombre des indifférents en matière religieuse est plus grand en milieu musulman qu’on ne croit, ceux qui sont issus de ce milieu conservent en général une grande tendresse à l’égard du personnage et répugnent, de façon fort compréhensible, à souligner ou même à signaler ses traits humains, et cela d’autant plus que, dès l’origine, les chrétiens ont, au contraire, dans des buts polémiques, insisté sur ces derniers et y ont même ajouté de pures inventions malveillantes. Les spécialistes musulmans en matière religieuse répugnent également jusqu’ici à appliquer aux sources les méthodes critiques généralement en usage dans les sciences historiques et que, pourtant, les savants de l’islām médiéval ont souvent pratiquées. De plus, l’idéologie nationaliste et anticolonialiste en vogue dans le monde musulman tend à se méfier de tout ce qui peut sembler une critique des grands hommes de son passé et à y subodorer un relent impérialiste ou une propagande chrétienne ou juive (ce qui a été vraiment le cas dans le passé et l’est encore parfois). L’accord est donc impossible pour le moment. On présentera ici les conclusions que l’on croit objectivement valables des études historiques menées pour l’essentiel par les historiens européens spécialisés.