Maeterlinck (Maurice) (suite)
Peut-être cet optimisme secret fut-il réveillé en Maeterlinck par la rencontre de la belle actrice et de la femme d’élite qu’était Georgette Leblanc : encore fallait-il qu’existât en lui le ferment d’une raison armée des ressources du génie constructeur. C’est cette raison, cette foi dans la délivrance par l’esprit qui lui fera juger que le problème de la mort n’est pas celui de notre anéantissement, mais celui des chances et des formes possibles de notre survie. Tel est le sujet du livre de la Mort (1913), où le courage de l’intelligence lui fait conclure que, si même notre conscience ne persiste pas séparée et n’est pas non plus admise au sein de l’universel, nous n’avons pas à nous inquiéter, puisque cette conscience, étant anéantie, n’en pourrait souffrir. On dirait que le penseur liquide ici l’ancienne angoisse du dramaturge, mais, auparavant, il a déjà longuement appliqué sa méthode d’analyse et d’éclairement à la question plus urgente qui est : comment vivre ? Le message de la Sagesse et la Destinée était : sans nous hypnotiser sur l’origine inconnue de ce qui nous menace, faisons ce qui dépend de nous en nous exerçant à accueillir ce qui pourrait nous blesser et en transformant ces événements étrangers en une chose de nous qui prend notre intime couleur. Dans la suite de sa méditation, Maeterlinck élargira le problème du bonheur individuel aux dimensions d’une fonction attribuée à l’ensemble de l’espèce humaine. Il dira dans le Double Jardin (1904) : « L’utilisation par l’intelligence de toute force inconsciente, la soumission graduelle de la matière et la recherche de son énigme, tel est pour le moment le but probable et la mission la plus plausible de notre espèce », et l’on reconnaît là un courant de pensée qui ne doit pas avoir été étranger à la formation d’esprit d’un Teilhard de Chardin. Pour sa part, Maeterlinck a toujours eu soin de respecter la distribution des rôles entre le savant qui scrute et soumet la matière et le penseur qui note ce que ces découvertes apportent à notre compréhension. Dans cette quête de vérité, il s’arrêtera à considérer les conditions de vie des plus petits êtres (abeille, fleur ou fourmi), et c’est le plus naturellement du monde qu’il passera de la fourmilière aux astres, puisque le menu et l’immense contribuent à constituer l’univers. Mais, aux confins des nébuleuses, il n’oublie jamais sa tentative de départ, qui est de rassurer l’âme en éclairant l’esprit. Et c’est encore cette tentative qui guidera sa pensée lorsque, dans ses derniers ouvrages, renonçant à demander ses viatiques à la connaissance, il se repliera pathétiquement sur l’effort de la réflexion pure et y cherchera le suprême recours d’un stoïcisme mélancolique.
R. V.
J. Hanse et R. Vivier (sous la dir. de), Maeterlinck, 1862-1962 (la Renaissance du livre, Bruxelles, 1962). / W. P. Romains, Maurice Maeterlinck (L. de Meyère, Bruxelles, 1963). / M. Postic, Maeterlinck et le symbolisme (Nizet, 1970). / P. Gorceix, les Affinités allemandes dans l’œuvre de Maeterlinck (P. U. F., 1975).