Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

luth (suite)

S’efforçant de satisfaire leur importante clientèle, les facteurs s’attachent non seulement à améliorer les qualités sonores du luth et son étendue, mais encore à construire des instruments de « tessiture » différente, afin de les rendre aptes à tous les usages : jeu en soliste, accompagnement de la voix, participation à des ensembles homogènes ou, au contraire, formés des instruments les plus divers (broken consort). La « famille des luths » comprend ainsi : le soprano, l’alto, le ténor (ces deux derniers étant employés indifféremment pour l’interprétation du répertoire soliste) et la basse (surtout réservée à l’accompagnement). À partir de 1570, on construit également des luths amplifiés, les archiluths, dont les cordes graves sont beaucoup plus longues ; ce sont, essentiellement, le théorbe et le chitarrone, qui serviront surtout pour l’accompagnement. D’autres instruments constituent, en revanche, une simplification du luth : la mandore (xvie et xviie s.), petit luth soprano à cordes simples, le liuto soprano (xviiie s.), auquel Vivaldi destinera des concertos, l’angélique (xviiie s.), chitarrone à cordes simples, le colachon. Le cistre, qui peut être considéré comme le « luth du pauvre » pendant toute cette période, s’en distingue par sa caisse plate et ses cordes de métal pincées avec un plectre. Il est intéressant de remarquer que c’est le dernier apparu des instruments de cette famille, la mandoline, née probablement au xviie s., mais en usage au xviiie, qui reste le seul couramment utilisé de nos jours.

Après avoir connu pendant environ deux siècles une suprématie incontestée, le luth tombe dans l’oubli. À l’exception des pays arabes, qui le considèrent comme un instrument traditionnel, le xixe et le xxe s. l’ignorent. Depuis une dizaine d’années toutefois, le retour aux instruments anciens attire, de nouveau, l’attention sur lui. Les meilleurs guitaristes se mettent à son étude, tentés par la richesse du répertoire qu’il permet d’interpréter. Parallèlement, de grandes éditions modernes rendent accessibles les recueils des xvie et xviie s. qui lui étaient consacrés. La facture de luth, désormais pratiquée par de nombreux artisans, rend possible l’acquisition de l’instrument : grâce à eux, le luth est en train de retrouver la place qui lui est due dans le concert des instruments anciens.

H. C.

 L. de La Laurencie, les Luthistes (Laurens, 1928). / J. Jacquot (sous la dir. de), le Luth et sa musique (C. N. R. S., 1959). / G. Thibault, « La musique instrumentale au xvie siècle », dans Histoire de la musique, t. I, sous la dir. de Roland-Manuel (Gallimard, « Encyclopédie de la Pléiade », 1960). / H. Charnassé et F. Vernillat, les Instruments à cordes pincées (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1971).

Luther (Martin)

Moine augustin allemand, fondateur du protestantisme (Eisleben 1483 - id. 1546).



Un homme de son temps : les temps de cet homme

Il n’y a qu’une histoire, à l’intérieur de laquelle, étroitement mêlés, coexistent les courants de pensée, les idéologies, les intérêts économiques et les forces politiques les plus divers. « Animal politique », suivant Aristote (Politique), l’homme est le produit de son environnement avant de devenir personne, objet de l’histoire avant de peut-être la modeler et l’orienter à son tour. Si, comme Luther, il parvient au premier rang des acteurs d’une époque, en l’achevant et en la faisant basculer vers les temps modernes, il n’en reste pas moins enserré dans un réseau d’influences et de conflits entre pouvoirs opposés. Le génie lui-même, si l’on voit son revers, n’est qu’un bouchon de liège ballotté sur les flots apparemment insensés de son temps.

L’histoire sociopolitique de la fin du Moyen Âge n’a été que trop rarement mise en relation organique avec celle des débuts de la Réforme. Et Luther, défiguré par ses hagiographes autant que par ses calomniateurs, est apparu comme un bloc erratique défiant les injures des temps. C’est l’historiographie marxiste qui, à la suite de la grande étude d’Engels* sur la guerre des Paysans (1850), l’a remis dans son temps et, en quelque sorte, restitué à l’humanité. Depuis, les ouvrages d’Ernst Bloch et, récemment, ceux d’un jeune dramaturge allemand, Dieter Forte, en réhabilitant Thomas Münzer et le mouvement anabaptiste (v. anabaptistes), ont mis en lumière le jeu politique — notamment du Vatican, du jeune empereur Charles Quint et de l’Électeur de Saxe — et l’exceptionnelle habileté du banquier Jakob Fugger* « le Riche » qui, à la fois, ont permis la réussite de Luther et imposé à son œuvre des limitations lourdes de conséquences.

Qu’il l’ait su ou non, voulu ou non, Luther a été un pion sur l’échiquier des grands maîtres de la deuxième décennie du xvie s. Quelle que fût sa décision, à partir du moment où l’équilibre des forces adverses lui évitait le sort de Jan Hus*, il était l’otage de l’un des camps en présence. Sans doute eut-il la chance ou l’intelligence de choisir le moins mauvais, celui de Frédéric III le Sage. Mais, du coup, il créait entre la nouvelle Église évangélique et le pouvoir politique une relation d’interdépendance qui, au cours des siècles, a plus contribué à enchaîner le témoignage prophétique qu’à faire surgir entre les sujets des princes une volonté adulte d’exercice démocratique des responsabilités politiques. Aussi nombreux sont-ils ceux pour qui, en Allemagne et ailleurs, la fidélité évangélique commande aujourd’hui de sortir dans ce domaine des impasses luthériennes...

Dire cela ne signifie nullement réduire la grandeur d’un homme ; c’est au contraire le reconnaître dans sa réalité contingente, difficile et ambiguë. Ce n’est pas nier, mais, bien au contraire, affirmer lucidement que, son histoire spirituelle se situant en pleine pâte historique, elle va attester dans le temps présent l’actualité permanente de l’incarnation. Que la parole et toute la vie de Luther aient été d’un bout à l’autre des actes politiques (conditionnés par l’environnement et influant sur lui) n’en diminue en rien l’originalité et le caractère décisif, au contraire.

Si nous croyons que la Parole oriente l’histoire de façon décisive, c’est à travers ce tissu infiniment serré et jamais complètement discernable que s’effectue son action. Qu’elle ne soit pas le produit des circonstances signifie précisément que c’est « à travers l’enchaînement des circonstances », dont Luther parle avec une certaine amertume, qu’elle fait son chemin.