Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Lourdes

V. des Hautes-Pyrénées, sur le gave de Pau ; 18 096 hab. (Lourdais).


Jusqu’au milieu du xixe s., Lourdes, qui avait été au Moyen Âge la capitale du Lavedan, n’était qu’un village pyrénéen. C’est actuellement le centre d’un des pèlerinages les plus fréquentés du monde catholique.

C’est en 1858 qu’une petite bergère, Bernadette Soubirous — née à Lourdes en 1844 — y vit, selon ses dires, la Vierge lui apparaître dans la grotte de Massabielle près du gave de Pau. Du 11 février au 16 juillet 1858, dix-huit apparitions eurent lieu devant des foules chaque fois plus nombreuses.

Le 25 mars, la Vierge de Lourdes, vêtue d’une robe et d’un voile blancs, portant une ceinture bleue et des roses d’or sur les pieds, lui aurait annoncé : « Je suis l’Immaculée Conception. » Le pape Pie IX avait, en effet, quatre ans plus tôt, proclamé l’Immaculée Conception, dogme de foi. La Vierge aurait également demandé qu’on lui élevât un sanctuaire, et une source jaillit sur les lieux de l’apparition (24 févr. 1858).

Dès l’année 1858, l’évêque de Tarbes avait ouvert une enquête ; celle-ci concluait, quatre ans plus tard, à la réalité des apparitions et autorisait un culte public qui serait rendu à Notre-Dame de Lourdes. Bernadette entra chez les sœurs de la charité de Nevers, où elle mourut en odeur de sainteté en 1879. En 1876, une basilique était élevée au-dessus de la grotte. Les pèlerinages se multiplièrent ; des guérisons eurent lieu ; en 1882 les autorités ecclésiastiques instituèrent un bureau médical.

La fête de Notre-Dame de Lourdes fut instaurée par Léon XIII en 1891 et étendue par Pie X à l’Église universelle. Elle est fixée au 11 février. Bernadette, elle, fut canonisée par Pie XI en 1933. En 1958, une basilique souterraine plus vaste que la première et d’une conception architecturale moderne fut inaugurée sous l’esplanade.

Plusieurs millions de visiteurs par an, pèlerins ou touristes, animent la ville, qui possède cependant quelques industries (constructions électriques).

P. R.

 F. Leuret et H. Bon, les Guérisons miraculeuses modernes (P. U. F., 1950). / R. Laurentin, B. Billet et P. Galland, Lourdes, documents authentiques (Lethielleux, 1957-1959 ; 6 vol.). / H. Bernard-Maître, la Ville de Lourdes, cité de pèlerinage. Esquisse de sociologie religieuse (Institut catholique, 1968). / B. Billet, Guide de Lourdes (Éd. du temps, 1970).

Lou Siun

En pinyin Lu Xun, homme de lettres chinois (Shaoxing 1881 - Chang-hai 1936).


Lu Xun est un des nombreux noms de plume que Zhou Shuren (Tcheou Chou-jen) utilisa afin d’éviter la censure. Il est né à Shaoxing (Chao-hing), capitale du Zhejiang (Tchö-kiang), dans une famille de lettrés et de hauts mandarins. La mort précoce de son père et l’emprisonnement de son grand-père pour faute professionnelle sont les deux grands événements de son enfance qui auront une influence prépondérante sur sa pensée et son œuvre. Lu Xun poursuit des études dans une école moderne, où il se familiarise avec les nouvelles idées qui se répandent en Chine, surtout grâce au penseur Liang Qichao (Leang K’i-tch’ao, 1873-1929). De 1902 à 1909, il est étudiant au Japon, dans une école de langue à Tōkyō, puis dans une école de médecine à Sendai. Il se fait connaître dans les milieux révolutionnaires chinois exilés au Japon, publie une traduction de Jules Verne et une présentation du roman occidental. Après son retour en Chine, il enseigne dans sa ville natale. Puis il suit le gouvernement de la jeune république de Chine à Pékin (1912), où il devient un des leaders du mouvement de réforme littéraire. Animateur de la revue révolutionnaire de l’université de Pékin, la Jeunesse, il publie en 1918 le Journal d’un fou, nouvelle inspirée de Gogol et qui, pour le fond comme pour la forme, est le manifeste de la nouvelle tendance littéraire chinoise. Dans cette nouvelle — la première en date à être écrite résolument en « langue parlée » (baihua [pai-houa]) et non dans la langue classique, réservée aux textes écrits —, il fait une critique acerbe et directe de la société de son époque. Il est évidemment au tout premier rang du mouvement littéraire du 4 mai 1919, dont les deux buts principaux sont de promouvoir la langue parlée comme langue littéraire et de faire de la littérature un instrument au service du redressement de la Chine. Parmi de nombreux essais de critique littéraire, il publie en 1921 l’Histoire véridique d’Ah Q (Ah Q zengzhuan [Ah Q tcheng-tchouan]), longue nouvelle où il exprime avec clarté son opinion sur la Chine et la position des Chinois par rapport à l’étranger. Chassé de Pékin en 1926 pour activités subversives, il voyage, puis s’installe à Shanghai, où il se marie. Il vit alors de ses écrits, critiques littéraires ou politiques, éditoriaux divers, où il montre sa verve et son esprit dans les innombrables querelles de petite envergure qui déchirent le monde littéraire et politique de la Chine des années 30.

Quantitativement, la part la plus importante de son œuvre consiste en traductions d’œuvres modernes étrangères, romans ou critiques littéraires. Jules Verne, Gorki, Romain Rolland, Nietzsche sont ses auteurs favoris. Lu Xun meurt avant d’achever la traduction des Âmes mortes de Gogol. Dans ses œuvres personnelles, la critique tient une place essentielle : critique politique et sociale, articles divers, polémiques. On lui doit également la Petite Histoire du roman chinois (1924), qui tient beaucoup de l’anthologie et qui est encore de nos jours la seule œuvre générale à ce sujet. Il s’agit d’un sujet révolutionnaire pour l’époque, car le roman traditionnel, genre populaire souvent écrit en langue vulgaire, était resté sinon ignoré, du moins méprisé par les lettrés chinois. L’œuvre personnelle de Lu Xun en tant que romancier est très restreinte. Elle comprend quelques recueils de nouvelles : Cris (Nahan, 1923), Errances (Panghuang [P’ang-houang, 1926]), Contes anciens à notre manière (Gushi xinbian [Kou-che-hin-pien, 1935]), un recueil de récits autobiographiques, Fleurs du matin cueillies le soir (Zhaohua xishi [Tsao-houa-hi-che, 1927]), un recueil de poèmes en prose, Herbes sauvages (Yecao [Ye-ts’ao, 1927]). Ce dernier ouvrage prouve admirablement que la tournure d’esprit et la manière d’écrire de Lu Xun sont plus celles d’un poète que d’un romancier. Cette vision poétique des choses, cet art du détail, de la suggestion, qui font la réussite littéraire de Herbes sauvages, expliquent pourquoi les œuvres romanesques manquent parfois de souffle. Pourtant, c’est au Journal d’un fou et à l’Histoire véridique d’Ah Q que Lu Xun doit sa célébrité littéraire. La folie du « fou » consiste à croire tous les hommes anthropophages et, de ce fait, impurs. Il s’imagine que sa famille le dit fou pour pouvoir le manger et craint même qu’on ne lui ait fait manger en plat préparé sa sœur, morte quelques années auparavant. Tous lui sont suspects, car tous « ont le visage souriant, à la bouche toujours charité vertu, mais leur cœur est plein d’intentions anthropophages ». Le mensonge règne partout, même dans l’histoire ancienne et les biographies des sages. Rien n’échappe à la pourriture de cette société dévorante, à tel point que le journal se termine sur cet appel : « Sauvez les enfants. » Avec Ah Q, le héros de l’Histoire véridique, Lu Xun a su créer un type humain éternel. Pauvre, pas très malin, méprisé par ceux de son village, Ah Q va d’échec en échec. Personne ne le prend au sérieux, ni les seigneurs, ni les paysans, ni les femmes, ni les voleurs, ni les révolutionnaires. Mais il possède le rare talent de transformer ses défaites en victoires morales et de tirer fierté de ses défauts. Humilié par la vie, il vit dans un monde imaginaire, où nous entraîne l’auteur. Et c’est avec les yeux d’Ah Q que nous le voyons marcher à la mort, condamné pour un crime qu’il ignore et qu’il n’a pas commis, fier d’être le point de mire de la foule, mais désolé de n’avoir pas su faire un beau rond pour signer une certaine feuille d’aveux. Pour son attitude novatrice et surtout pour l’aspect social de son œuvre romanesque, Lu Xun est considéré en Chine comme le plus grand écrivain moderne. Une édition complète de ses œuvres a été publiée en 1956, et nombres de livres et d’articles lui ont été consacrés. Lu Xun a été traduit dans de nombreuses langues étrangères.

D. B.-W.